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la maintiennent. Dès qu’il est entendu que ces pouvoirs, au lieu de s’imposer à la société, doivent être pris en elle et organisés par elle, il faut savoir d’après quels principes. Ici les principes sont à considérer. Pour une œuvre où manquent les précédens, les traditions, je ne vois pas d’autres matériaux possibles. La liberté est matière à philosophie dans une société comme la nôtre, qui n’a ni réminiscences ni pratiques libérales; or cette philosophie est encore à faire parmi nous.

En 89, il y eut tout juste assez de réflexion et d’invective, soit pour détruire les anciens pouvoirs, qui tombaient de vétusté, soit pour établir le droit commun, qui était évident de lui-même. A cet égard, les titres du genre humain étaient partout. Quant à créer, en fait ou en théorie, la source et la garantie nationales du droit, on ne sut aller jusque-là. « Il n’y a rien de si absurde, dit Cicéron, qui n’ait été affirmé par quelques philosophes. » Le mot est un peu dur. Bornons-nous à reconnaître, en présence de cette lacune signalée tout à l’heure, qu’il y a une chose utile et vitale que nul philosophe n’a dite jusqu’à présent. Encore une fois, nous n’avons que cela, nous autres Français, pour nous faire libres, — cela, c’est-à-dire l’étude, l’élaboration théorique de la liberté, à défaut des précédens historiques et des instincts de race qui ne nous portent pas bien impérieusement de ce côté.

Si cette philosophie inédite doit se trouver quelque part, c’est apparemment dans la double considération de l’esprit humain et du développement de cet esprit à travers la vie progressive des sociétés. Or on n’a pas négligé en France l’étude de l’esprit humain. La psychologie a fleuri parmi nous; mais, dans les limites qu’elle s’est faites, a-t-elle fructifié? De fort beaux esprits l’ont cultivée, et même avec un notable progrès de méthode, qui est l’observation appliquée aux faits intellectuels. Ils ont tiré au clair des questions d’un véritable intérêt : l’analyse et la critique de la sensibilité, de l’entendement, de la raison, de la volonté, etc., ont été poussées fort loin; mais enfin il ne s’agit là que de l’homme en général, d’un homme abstrait, en dehors du théâtre et des rapports où il passe sa vie, dans de purs espaces où on ne l’a jamais vu. C’est une étude sur la nature morte, pour ainsi dire, et non sur cette nature humaine actuelle et vivante qui se débat au milieu de mainte épreuve, de mainte construction épineuse, celle entre autres du pouvoir de l’homme sur lui-même et sur ses semblables, c’est une nomenclature de nos facultés sans portée et sans conséquence de droit politique.

Certes il faut dénombrer et classer les facultés de l’esprit humain : ce fond est à reconnaître; mais, ayant pris et étudié à part chacune d’elles, ou ne peut en rester là. Il faut nous dire quelle