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nés ? Alors que la philosophie nous dise ce que vaut l’homme pour la liberté ainsi comprise, ce qu’il porte en lui pour résister ou pour suffire à cette besogne, de quelles ressources il dispose, naturelles ou acquises, contre l’apparente contradiction de ce problème.

La psychologie pourrait bien se tourner enfin de ce côté. Sans doute elle a d’autres poursuites plus élevées, celles qui s’informent du devoir et de la sanction éternelle du devoir par rapport à l’individu. Toutefois cette question de la liberté est considérable, intéressant un être aussi continu et aussi spacieux que la société, touchant, comme elle fait, à certains devoirs du citoyen et du souverain où reparaissent ceux de l’individu, à la charité par exemple, qui pourrait bien être un objet des lois, une vertu de gouvernement. En tout cas, cette question a pris de nos jours un degré visible d’urgence et d’obsession. Si l’homme est un sujet d’étude à lui-même, l’heure est venue pour lui de se connaître et de s’expérimenter là-dessus. S’il existe une science des choses générales et profondes pour suspendre à des hauteurs inviolables tout ce qui importe à l’homme, cette science fera bien d’être politique.

Les hommes, et surtout certaines races d’hommes (c’est à la France que ceci s’adresse), ne peuvent se passer de philosophie sur les choses qu’ils ont faites d’abord d’une manière instinctive et empirique. C’est ainsi que le langage, la production des riches- ses, sont devenus des sciences : pourquoi en serait-il autrement de l’état social et de la gestion sociale? Pourquoi l’art politique ne deviendrait-il pas science politique? Créer dans la société un pouvoir né d’elle-même, son élu, sa créature, son justiciable, c’est une entreprise. A cela près de quelques exceptions antiques, il n’est rien au monde de plus nouveau et de plus étrange, car le monde jusqu’à ces derniers siècles avait toujours vécu sous des dominations qui lui étaient extérieures en quelque sorte, qui tiraient leur droit d’elles-mêmes, — à titre divin, comme les églises, — à titre de propriété, comme les monarchies et les castes conquérantes. Le droit politique n’existait pour personne, pas même pour le roi : le monde était prêché ou possédé plutôt que gouverné.

Ces dominations vendaient cher leurs services, c’est-à-dire une certaine sécurité, la paix du roi, comme on disait; mais enfin il était en elles de rendre ces services : rien au moins ne les en détournait absolument. Une police tolérable des rapports privés et courans, quelque protection des personnes et des biens étaient la condition de leur pouvoir et l’aliment de l’impôt dont elles vivaient. Pourquoi d’ailleurs un souverain supérieur aux lois n’en ferait-il pas de raisonnables? Il ne s’agit pas pour lui de pratiquer la justice, mais de l’imposer. Il paraît que l’on pouvait vivre ainsi; mais tout change d’aspect, si nous parlons d’une société maîtresse d’elle--