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de ne pas appeler cela une guerre civile. De plus jamais l’anarchie ne pourra finir sans cela, et je crois que plus on retardera, plus il y aura de sang répandu. Voilà mon principe : il peut être faux ; cependant, si j’étais roi, il serait mon guide, et peut-être éviterait-il de grands malheurs… » Il faut ajouter qu’en pensant ainsi dans son intérieur, Mme Elisabeth ne conseillait à son frère que la prudence, et lui recommandait de ne rien hasarder. Mirabeau lui-même ne reculait pas devant la guerre civile ; il la prévoyait et ne la craignait pas, pourvu qu’on la soutînt comme il l’entendait, sans en faire une guerre de restauration absolutiste. Pour la reine, c’est une prévision insupportable. Dans tous ses plans, cette idée est rejetée en arrière ; elle se déguise sous mille voiles, sous l’illusion d’une pacification possible par d’autres moyens. « Tout le monde est en armes, écrit-elle à son frère ; ce sera l’état le plus déplorable, celui qui porte le crime et le meurtre dans l’intérieur des maisons, et qui fait qu’aucun citoyen n’est sûr de vivre un jour : voilà ce que le roi doit et veut épargner à son peuple, au risque de sa couronne et de sa vie. » Et ailleurs, dans un moment désespéré elle écrit à Mme de Polignac : « Non, non, mon amie, la guerre civile est une horreur, la guerre étrangère une infamie ; il faut subir ce que Dieu envoie ! »

« Il ne faut point de guerre civile, dit la reine dans un mémoire adressé à l’empereur Léopold, son frère ; il ne faut point, s’il est possible, de guerre étrangère. » Où donc est sa ressource, si elle ne peut vivre avec la révolution, et si elle ne veut ni des émigrés, ni de la guerre civile, ni même de l’intervention de l’Europe ? Ah ! c’est là la plaie secrète et la subtilité de cette âme si cruellement agitée. Marie-Antoinette ne veut pas, s’il est possible, de la guerre étrangère, et c’est là visiblement sa dernière espérance. Seulement elle fait tout ce qu’elle peut pour se dissimuler à elle-même la gravité de cette résolution extrême. Elle ne doute pas de son droit, mais il y a en elle un instinct de femme intelligente et sincère qui parle plus haut. D’abord elle reconnaît sans doute les puissances européennes fondées à réclamer de la révolution des garanties de bon ordre, de sécurité, de régularité dans les rapports internationaux, mais elle leur conteste le droit de s’occuper du gouvernement intérieur de la France. « Il y a sûrement, dit-elle, des points auxquels les puissances ont droit de s’opposer ; mais pour ce qui regarde les lois intérieures d’un pays, chacun est maître d’adopter dans le sien ce qui lui convient. » Elle ne livre pas même la constitution tout entière, et elle ajoute nettement que, quand on le voudrait, « il y a des points sur lesquels il est impossible et peut-être fâcheux de revenir. » En outre, ce qu’elle demande, ce n’est pas