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de me mêler, m’a transporté dans les sombres défilés ; où le chasseur allemand prépare sa balle enchantée, et il m’est venu une idée qui en vaut bien une autre.

— Laquelle ? Demanda la jeune fille.

— Laissez-moi le temps d’achever, miss Johanna ; nous sommes, nous aussi, jde francs tireurs, et pourtant nous n’avons pas pratiqué tous les genres de chasse ; il nous en manque un, l’un des plus amusans, la chasse au jack-light[1], et je vous le propose.

— Une chasse au jack-light ! interrompit Johanna, mais cela doit avoir lieu la nuit ?

— Sans doute ; répondit sir Henri ; en pleine nuit et dans l’endroit le plus profondément obscur que BOUS pourrons trouver… C’est une chasse fantastique comme celle du Freyschütz.

— La nuit !… répéta la jeune fille.

— La nuit, répliqua sir Henri. Avez-vous peur des fantômes ?

— Non, dit Johanna ; mais la nuit appartient au génie du mal…

— Eh bien ! reprit sir Henri en s’approchant d’elle, nous aurons contre ce génie redoutable deux armes efficaces, la présence d’un ange et… nos fusils…

Telle est la puissance d’un compliment sur le cœur inexpérimenté d’une jeune fille que ces paroles banales suffirent à éloigner les craintes que ressentait Johanna. La jeune fille ne rêva plus que l’exécution immédiate de cette partie de chasse au flambeau. Dès le lendemain soir, le vieux Bill fut chargé de préparer deux bateaux, l’un destiné à porter le jack, l’autre réservé aux chasseurs. La journée avait été chaude et sombre ; quand la nuit vint, il n’y avait aucune étoile au firmament. L’obscurité la plus profonde régnait sur les eaux. M. Blumenbach et sa fille prirent place sur la première de ces deux barques, et près d’eux s,’assit Bill, qui remplissait les fonctions de rameur ; dans le second bateau s’assit sir Henri, accompagné d’un Canadien habile à manier l’aviron. Pendant plus d’une heure, les deux embarcations descendirent le courant côte à côte ; il s’agissait de choisir un lieu hanté par les chevreuils.

— Eh bien ! miss Johanna, dit sir Henri, trouvez-vous donc les ténèbres si effrayantes ?…

— Oh ! non, répliqua la jeune fille ; je me sens si bien accompagnée… J’ai mon père à mes côtés…

— Et le vieux Bill, qui est si brave ! ., Je ne sais rien de plus charmant que de descendre paisiblement à minuit le cours d’une rivière profonde et doucement rapide comme celle-ci !

— C’est vraiment délicieux, reprit la jeune fille. N’est-ce pas, mon

  1. Chasse à la lanterne, ou, comme l’appellent las Canadiens français, chasse au flambeau.