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dont il trafiquait pour vivre, enfin le libre accès à toutes les magistratures, et il n’avait qu’à citer son exemple pour démontrer qu’il était possible à un homme sans aïeux et presque sans fortune de parvenir même au consulat. À la vérité, de pareils succès étaient rares. L’égalité inscrite dans la loi souffrait beaucoup dans l’application. Les fastes consulaires à cette époque ne contiennent guère que des noms illustres. Quelques grandes familles semblaient s’être établies dans les premières dignités de l’état : elles en gardaient les abords et n’en laissaient approcher personne ; mais était-il besoin, pour briser ces obstacles que l’habileté de quelques ambitieux opposait au jeu régulier des institutions, de détruire ces institutions elles-mêmes ? Le mal était-il si grand qu’on fût forcé d’avoir recours au remède radical du pouvoir absolu ? Était-il défendu de croire qu’il serait plus sûrement guéri par la liberté que par le despotisme ? N’avait-on pas vu, par des exemples récens, qu’un grand courant d’opinion populaire suffisait pour renverser toutes ces résistances aristocratiques ? Les lois offraient au peuple le moyen de reconquérir son influence, s’il l’avait énergiquement voulu. Avec la liberté des suffrages et celle de la tribune, avec l’intercession des tribuns et la force invincible du nombre, il devait toujours finir par être le maître. S’il laissait à d’autres le pouvoir, c’était sa faute, et il méritait l’abaissement où le tenait la noblesse, puisqu’il ne faisait pas d’efforts pour en sortir. Cicéron avait peu d’estime pour le peuple de son temps ; il le croyait de sa nature indifférent et apathique. « Il ne demande rien, disait-il, il ne souhaite rien. » Et toutes les fois qu’il le voyait s’agiter sur la place publique, il soupçonnait que c’étaient les largesses de quelques ambitieux qui faisaient ce miracle. Il n’était donc pas porté à croire qu’il fallût lui accorder des droits nouveaux quand il le voyait si peu ou si mal user de ses droits anciens. Aussi ne regardait-il pas comme sérieux le prétexte invoqué par César pour prendre les armes. Jamais il ne consentit à voir en lui le successeur des Gracques venant émanciper la plèbe opprimée ; jamais la guerre qui se préparait ne lui parut être le renouvellement, des anciennes luttes, dont l’histoire romaine est pleine, entre le peuple et l’aristocratie. En effet, une réunion de grands seigneurs ruinés, les Dolabella, les Antoine, les Curion, marchant sous la conduite de celui qui se glorifiait d’être le fils des dieux et des rois, méritait peu le nom de parti populaire, et il s’agissait d’autre chose que de défendre les privilèges de la naissance dans un camp où s’étaient rendus tant de chevaliers et de plébéiens, et qui comptait : parmi ses chefs Varron, Cicéron et Caton, c’est-à-dire deux petits bourgeois d’Arpinum et de Réate, et le descendant du paysan de Tusculum.