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Aujourd’hui la principale raison qu’on invoque pour justifier sa victoire, c’est qu’à tout prendre, si Rome y a perdu quelques-uns de ses privilèges, c’est au profit du reste de l’univers qu’elle en a été dépouillée. Qu’importe qu’on ait privé de leur liberté politique quelques milliers d’hommes qui n’en faisaient pas un très bon usage, si on a du même coup arraché le monde presque entier au pillage, à l’asservissement et à la ruine ? Il est certain que les provinces et leurs habitans, si rudement traités par les proconsuls de la république, se sont bien trouvés du régime inauguré par César. Son armée était ouverte à tous les étrangers ; il avait avec lui des Germains, des Gaulois, des Espagnols. Ils l’aidèrent à vaincre, et naturellement ils profitèrent de sa victoire : ce fut, sans qu’il l’ait souhaité peut-être, une revanche des peuples vaincus. Ces peuples ne tenaient pas à recouvrer leur ancienne indépendance ; ils en avaient perdu le goût avec leur défaite. Leur ambition était toute contraire : ils voulaient qu’on leur permît de devenir Romains. Jusque-là pourtant cette aristocratie fière et avide aux mains de laquelle était le pouvoir, qui entendait exploiter le genre humain au profit de ses plaisirs ou de sa grandeur, avait obstinément refusé de l’élever jusqu’à elle, sans doute pour conserver le droit de le traiter selon ses caprices. En renversant l’aristocratie, César abaissa la barrière qui fermait Rome au reste des nations. L’empire a fait le monde entier romain ; il a réconcilié, dit un poète, et confondu dans un même nom tous les peuples de l’univers. Ce sont assurément là de grandes choses, et il ne nous convient pas de les oublier, nous qui sommes, les fils de ces vaincus appelés par César à partager sa victoire ; mais qui songeait, au temps de Cicéron, qu’il en devait être ainsi ? qui pouvait prévoir et indiquer ces conséquences lointaines ? La question ne se présenta pas alors comme elle se pose pour nous, qui l’étudions à distance. César, dans les motifs qu’il donne de son entreprise, n’allègue nulle part l’intérêt des peuples vaincus. Le sénat n’a jamais prétendu être le représentant de la nationalité romaine menacée par une invasion de barbares, et l’on ne voit pas que les provinces se soient soulevées en faveur de celui qui venait les défendre : au contraire, elles se partagèrent d’une façon presque égale entre les deux rivaux ; Si l’Occident combattait avec César, tout l’Orient se rendit dans le camp de Pompée. C’est ce qui prouve que quand la lutte s’engagea, les conséquences n’en étaient pas connues, même de ceux qui devaient en profiter, et que leur intérêt aurait dû rendre clairvoyans. D’ailleurs, quand Cicéron aurait soupçonné les bienfaits que le monde allait tirer du triomphe de César, pense-t-on que cette raison pouvait suffire à le décider ? Il n’était pas de ces gens qui aiment l’humanité tout entière pour se dispenser de servir leur pays. Il se serait difficilement