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Si au contraire la monnaie est rare, le prix de toutes les choses s’en ressent. Tout le monde a besoin d’échanger, c’est-à-dire de vendre et d’acheter ; si donc le moyen d’échanger vient à manquer où à se raréfier, tout le monde est gêné et toutes les transactions deviennent difficiles. De même que, lorsque l’eau baisse dans les rivières, les transports ne peuvent plus s’opérer, parce que les bateaux sont à sec, ainsi, quand la monnaie diminue ou fait défaut dans les canaux de la circulation, les produits ne peuvent plus passer que très difficilement d’une main dans une autre, faute de l’intermédiaire universel[1]. On est parvenu, dans les pays avancés en fait de commerce, à se passer de beaucoup de numéraire en le remplaçant par le crédit sous toutes ses formes ; mais, étant donnée la quantité d’unités monétaires qui sont encore indispensables, la rareté produit ici un embarras, et quelquefois même une crise générale. On dit, il est vrai, que quand la monnaie devient rare, chacune de ses unités, augmentant de valeur, opérera plus d’échanges ; mais nous touchons ici à l’erreur première qui a conduit à méconnaître l’évidence des faits. Cette proposition n’est exacte que si on considère un long espace de temps ; elle est fausse dans la plupart des cas et pour la grande majorité des transactions, parce que la monnaie est une marchandise tarifée, recevable en tout paiement et ayant seule l’éminent privilège d’éteindre toute dette au taux fixé par la loi. Ainsi je me suis obligé à payer 1,000 francs à terme ; si avant l’échéance le numéraire devient rare, il s’ensuivra que la valeur de chaque unité, de chaque franc, augmentera en raison de sa rareté. Si donc chaque franc vaut en réalité le double, je devrais pouvoir m’acquitter en versant 500 francs, qui représentent maintenant une valeur égale à 1,000 francs ; mais si, comme il arrive aujourd’hui, je dois me procurer 1,000 francs en vendant des marchandises, je perdrai la moitié sur la réalisation, car une hausse du numéraire se traduit par une baisse de tous les produits. Or, dans le

  1. M. Michel Chevalier ne méconnaît-il pas ce caractère essentiel de la monnaie quand il dit : « Les hommes superficiels et le vulgaire s’écrient que l’argent est rare, parce que l’argent est la mesure du capital ; mais l’expression est inexacte et suscite une fausse idée : c’est à peu près comme si, quand le drap ou la toile de coton manque à une foire, on s’écriait : « Les mètres sont rares ? » Pour que la comparaison de l’éminent économiste fût exacte, il faudrait que la monnaie ne fût, comme le mètre, qu’une mesure ; mais c’est un intermédiaire et un équivalent qu’il faut livrer à chaque transaction. Si les mètres étaient en or ou en argent, et si l’acheteur, après avoir mesuré le drap ou le coton, devait les livrer au vendeur, on comprendrait très bien qu’on pût en manquer. Quand chacun désire vendre ses produits et ne peut le faire faute d’argent ou de crédit appuyé sur de l’argent, ce qui fait défaut, ce n’est pas une commune mesure, toujours facile à trouver, mais l’équivalent métallique dont la rareté arrête les transactions en avilissant tous les prix.