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puissant que la monnaie de papier, c’est le crédit sous ses formes diverses : promesses, billets à ordre, chèques, lettres de change, warrants, comptes-courans et autres combinaisons du même genre. Si tous les habitans d’un pays se connaissaient, étaient honnêtes et avaient confiance dans leur solvabilité réciproque, on pourrait à la rigueur opérer tous les échanges intérieurs par la simple intervention du crédit, sans monnaie d’aucune sorte. Dans l’état actuel, on a recours aux effets de commerce appuyés par l’escompte sur les billets de banque, lesquels s’appuient à leur tour sur le fonds solide du numéraire métallique. À mesure que les bonnes habitudes commerciales se répandent dans un pays, il parvient à réduire la quantité d’or et d’argent dont il a besoin, à ce point qu’enfin tout un merveilleux et gigantesque échafaudage d’instrumens de crédit repose sur un fondement métallique extrêmement exigu. Or c’est précisément là qu’en est arrivée l’Angleterre. Le but constant du commerce anglais a été de mener à bien beaucoup d’affaires avec peu d’argent, et ce but, il a su l’atteindre. Le savant collaborateur de Tooke, M. Newmarch, décrit parfaitement le mécanisme qui a été mis en œuvre, quand il dit que l’or est la monnaie divisionnaire du billet de banque, comme le billet de banque l’est du chèque, le chèque de la lettre de change, et la lettre de change des viremens de parties et des comptes-courans ; Chacun de ces moyens d’échange complète le suivant, et tous s’enchaînent les uns aux autres, s’engrènent les uns dans les autres, de telle façon que le premier est nécessaire au second, le second au troisième, et ainsi de suite. On ne peut trop admirer ces ingénieuses créations de l’esprit humain appliqué aux affaires, mais elles offrent un inconvénient qui est précisément de donner lieu aux crises, et voici comment.

L’Angleterre fait avec le monde entier un commerce immense, qui depuis longtemps déjà se chiffre par milliards. Comprenant les avantages de la division du travail, elle se procure une grande partie des denrées qu’elle consomme en s’appliquant à créer les produits qu’elle fabrique le plus économiquement. Elle s’est transformée ainsi en un vaste atelier, en une cité industrielle qui tire du dehors ses matières premières et ses denrées alimentaires, qu’elle paie avec ses marchandises manufacturées. Ces vastes échanges s’opèrent aussi au moyen d’un instrument de crédit généralement employé, la lettre de change. Pour tous les produits qu’elle vend aux nations étrangères, elle émet des traites sur celles-ci, et elle fait tirer sur elle pour tout le montant de ce qu’elle a acheté. Si elle a autant vendu qu’acheté, toutes ses créances compenseront toutes ses dettes. Dans ses comptes-courans avec l’univers, le doit et l’avoir se balanceront ; mais si elle a plus acheté que vendu, et si par suite, toutes les dettes et créances compensées, elle reste devoir un solde