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vont ou s’annullent. La noblesse, au premier ébranlement de la révolution, se débande ; elle donne dans le mouvement, elle émigre ou elle se retire dans ses mécontentemens ; elle voudrait être sauvée, elle ne fait rien pour se sauver elle-même, et elle crie contre les sacrifices devenus nécessaires. Il n’y a plus dans cette noblesse sans esprit politique que des dévouemens isolés qui se rallient dans le péril.

Et le roi lui-même, que fait-il, que pense-t-il ? Le roi est profondément étonné en présence d’un mouvement dont la portée échappe à son esprit simple, honnête et timide : il veut concilier tout le monde, écoute tous les avis sans les suivre ou en ne les suivant qu’à demi, et retombe chaque jour dans des surprises nouvelles qui lui font dire dans une de ses lettres : « C’est une bien belle allégorie que celle de la boîte de Pandore. » Si Louis XVI eût été un homme de force et d’épée, il eût essayé de dompter la révolution, et il eût réussi probablement à l’ajourner ; s’il eût été un fourbe de génie, il eût cherché à la vaincre ou à la gagner par l’avilissement et la corruption, et il n’eût peut-être pas entièrement échoué, au moins pour le moment ; s’il eût été simplement un esprit clairvoyant et habile, avec sa droiture naturelle il eût, dès le premier jour, recherché sincèrement, résolument l’alliance de cette puissance nouvelle, et par cette alliance il eût raffermi une monarchie en ruine. Louis XVI n’avait ni les qualités ni les vices d’aucun de ces rôles. Il voulut dompter la révolution sans avoir foi en la force ; il fit des tentatives pour traiter avec elle sans conviction ; il essaya des machinations secrètes, et son honnêteté le trahissait à tout instant. Il n’était qu’irrésolu et dérouté, C’est l’homme dont le comte de Provence, son frère, peignait l’indécision en disant : « Imaginez des boules d’ivoire huilées que vous vous efforceriez vainement de retenir ensemble. » Son caractère est une résignation passive et louvoyante qui ressemblerait à du fatalisme, s’il n’y avait parfois une vulgarité un peu lourde. Le pauvre roi, quand il est enfermé aux Tuileries, réduit à un régime sédentaire, lui accoutumé à la chasse et à l’exercice, il a des mots pénibles à entendre ; « on m’a accusé de manger trop, écrit-il naïvement à Mme de Polignac déjà émigrée, mais je crois que je me suis réduit par degré. »

Parmi les personnages effacés d’une famille royale jetée tout à coup dans un si grand péril, une des figures les plus curieuses après la reine, et qui ne prend qu’aujourd’hui son relief dans toute une correspondance, c’est Mme Elisabeth, celle que Marie-Antoinette, lorsqu’elle était dauphine, représentait comme une enfant farouche, à demi sauvage, et douce pourtant, celle qui avait voulu se faire religieuse et qui était restée une princesse attachante dans son obscurité.