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timent afin de le rendre plus opportun et plus efficace ? Entre ce dieu, qui est celui de Proclus, et cette providence, qui est aussi le dieu de Proclus, il y a la même différence, la même distance qu’entre zéro et l’infinie perfection. Le zéro, c’est la méthode alexandrine qui le produit ; l’infinie perfection, c’est la méthode platonicienne qui la fait concevoir et aimer jusqu’à l’enthousiasme, mais jamais jusqu’à cette extase qui est le pur hébétement.

Comment est-il donc arrivé qu’un illustre philosophe, Hegel lui-même, et deux savans historiens du néoplatonisme, MM. Ravaisson et Vacherot, aient considéré Proclus comme le restaurateur de la méthode dialectique de Platon ? Pour Hegel, cela se comprend : il lui fallait de grands ancêtres, et Platon lui paraissait à juste titre plus grand encore que Proclus. Sous l’empire de cette préoccupation, il a pu de bonne foi rapporter à Platon un procédé scientifique qu’il estimait sans égal. De la part des deux critiques français, cette opinion s’explique d’une autre manière. Oui, il y a dans les dialogues de Platon une certaine méthode d’abstraction qui revient maintes fois, occupe une certaine place et semble n’être que la recherche du caractère le plus général de chaque classe d’êtres ou d’objets. Certains objets ont cela de commun par exemple qu’ils sont égaux entre eux : il y a donc une idée générale de l’égalité. Prenons un autre exemple encore : toutes les choses et tous les êtres réels ont cela de commun qu’ils sont ; il y a donc une idée générale de l’être. L’être en général cependant n’est ni vous, ni moi, ni aucun objet individuel. Il en résulte que plus je m’approche de cette idée générale de l’être, plus je m’éloigne de ce qui est individuel, réel, vivant. C’est là ce qu’on appelle la méthode d’abstraction pure. Celle-là, Proclus l’a vue ou cru la voir dans le Parménide de Platon, et il se l’est appropriée, le sachant et le voulant, parce qu’il espérait s’en servir pour donner à sa théorie de l’unité un caractère rigoureux et scientifique. À côté de ce procédé logique, il y en a un autre dans Platon, et celui-ci vise non plus à ce qui est général, mais à ce qui en toutes choses éveille l’idée de la perfection. Au-delà de la vérité incomplète et changeante, toujours mêlée d’erreur, ce procédé cherche, conçoit et affirme une vérité parfaite ; au-delà de la beauté finie qu’altère toujours quelque laideur, il poursuit et atteint une beauté achevée et éternelle ; au-delà de la justice des hommes, justice tantôt aveugle, tantôt boiteuse, tantôt impuissante, il entrevoit, saisit et pose la justice absolue à titre d’existence réelle, de réalité vivante. Et ce ne sont plus là des généralités vaines comme des ombres ; ce sont des aspects mêmes de la Divinité conçus par la raison. Aussi le dieu de Platon a-t-il les attributs mêmes de la vie parfaite, l’intelligence, la bonté, la beauté, et les a-t-il par nature et par essence.