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pas. Tout était nouveau pour elle, hommes et choses. Tout la trahissait, et ses bonnes volontés tournaient contre elle comme ses erreurs. M. de Calonne n’était pas un homme de son choix, et bientôt cependant l’impopularité du présomptueux ministre retombait sur elle de tout son poids. Elle crut faire merveille en découvrant l’archevêque de Sens, M. de Brienne, dont la confiante ambition ne doutait de rien, et en peu de temps l’incapacité de M. de Brienne n’avait fait qu’ajouter aux ruines d’une situation qui s’effondrait de toutes parts. Les circonstances devenaient pressantes. Il n’y avait plus d’autre ressource que de rappeler au ministère Necker, qui avait été déjà contrôleur-général en 1781. La reine n’hésitait pas ; elle négociait elle-même avec M. de Mercy la rentrée de Necker, elle lui écrivait, elle le pressait, et pour cette fois elle s’effrayait de son propre ouvrage ; elle était agitée d’un trouble plein de pressentimens. « Je viens d’écrire trois lignes à M. Necker pour le faire venir demain à dix heures chez moi, ici, disait-elle à M. de Mercy dans une lettre du 25 août 1788. Il n’y a plus à hésiter. Si demain il peut se mettre à la besogne, c’est le mieux… Je tremble, passez-moi cette faiblesse, de ce que c’est moi qui le fais revenir. Mon sort est de porter malheur, et si des machinations infernales le font encore manquer où qu’il fasse reculer l’autorité du roi, on m’en détestera davantage. » Elle allait à Necker, mais en le craignant, sans confiance et sans conviction, n’ayant qu’un instinct vif et juste, et nulle idée précise, dévorée du sentiment de l’insuffisance de tout en présence d’une situation qui s’aggravait de jour en jour.

De toutes les causes de ruine qui vont en grossissant autour d’elle, la première, la plus irréparable pour la reine, c’est d’arriver à cette situation extrême de 1788 et 1789 avec la faiblesse d’un prestige avili, d’un crédit compromis et perdu, ayant tout contre elle, la cour et le peuple. Et pourtant de cette confusion croissante une vérité jaillit comme un éclair. Si le peuple eût écouté son instinct, il aurait vu qu’il ne pouvait trouver un meilleur appui que dans cette reine, dans cette femme que les haines de cour assaillaient, qui à travers des préjugés de rang et de naissance avait le grand don de la vérité, de la sincérité, qui avait en un mot la fibre humaine. Et si la reine, elle aussi, n’eût écouté qu’elle-même, elle aurait vu que, perdue par ce monde qui l’entourait, elle ne pouvait se sauver que par le peuple, par ce peuple dont elle disait un jour : « Il y a dans ces classes-là des vertus cachées, des âmes honnêtes jusqu’à la plus haute vertu chrétienne.. » Pour la reine et pour le peuple l’intérêt n’était pas différent, et l’ennemi était le même. Cette alliance était naturelle et facile au commencement du règne ; elle devenait moins aisée quelques années après ; elle était peut-être