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de la notion abstraite de l’unité, et de prouver que la Providence ne doit pas descendre au niveau de l’intelligence. Pour y parvenir, il a recours à un subterfuge vraiment indigne d’un aussi grand esprit, et qu’on ne pourrait lui pardonner, si sa bonne foi n’était évidente. Il joue sur le mot pronoïa, lequel signifie dans la langue grecque, comme le mot Providence dans la nôtre, vue anticipée, préconnaissance des choses à venir. Ce sens, qui est le seul raisonnable, Proclus l’écarte ; il prétend que providence veut dire un être qui existe antérieurement à la connaissance, antérieurement à l’intelligence, de telle façon que la langue, cette expression spontanée du sens commun, semble témoigner en faveur de la méthode négative, et placer le dieu Providence au-dessus et en dehors de toute intelligence. Tout n’est pas décidé cependant ; la raison est moins complaisante que les mots, qui souffrent tout, et il reste à prouver qu’une Providence sans intelligence mérite encore son nom et joue dans le monde un rôle quelconque. Proclus le prouve en effet ; comment ? En disant que c’est par son être que Dieu produit tout, et que sa Providence n’est que son être même, rien que son être, antérieur et supérieur à tout attribut et à toute détermination. Cette explication est répétée à satiété dans le grand commentaire sur le Parménide, et chaque fois que Proclus la répète, il se persuade avoir atteint le comble de la clarté philosophique, tandis qu’il roule dans les ténèbres et dans le vide et que sa pensée n’embrasse que des ombres. Voilà où la doctrine du Dieu indéterminé peut jeter une belle intelligence. Voici maintenant comment une belle intelligence, par une sorte d’instinct de conservation philosophique, recule devant ces abîmes et revient à la vérité, au prix de plus d’une inconséquence. Ne pouvant rien faire de cette Providence, qui n’a pour toute puissance que son être et pour tout être que son unité, Proclus, devenu subitement aussi prodigue qu’il était avare, la pare d’une triple couronne de triples attributs. Il lui accorde d’abord la bonté qui constitue les êtres, la sagesse qui les conserve, la beauté dont l’attrait ramène les êtres à leur principe. À ces perfections il ajoute la volonté, la connaissance et la puissance, ou en d’autres termes la liberté, l’intelligence et la souveraineté, et afin de compléter ces dernières puissances, il proclame la Providence juste, véridique et universelle. Sans chercher si ces expressions ne sont pas autant de mots à la place d’autant de choses absentes, bornons-nous à remarquer que chacun de ces termes est une atteinte mortelle portée au principe de l’indétermination et à la méthode négative. Ou cette méthode est fausse, ou le dieu de Proclus doit rester sans attributs, dans sa nudité primitive et fatale.

Ce n’est pas tout : la doctrine de la Providence soulève une mul-