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veilleuses à une cause mille fois plus merveilleuse encore. Nous n’oublions pas que cet argument ne donne pas complète satisfaction aux purs philosophes, et que la notion métaphysique de l’infini s’y doit joindre, sans quoi le principe que l’on conçoit, quoique très grand, n’atteint pas la grandeur suprême. Toutefois, si cette manière d’envisager la Divinité n’est ni la seule ni la plus profonde, elle est incontestablement le vestibule de la théodicée : pour aller plus loin, il faut passer par là. Les facultés religieuses de l’homme y reçoivent doucement l’éducation première dont elles ont besoin, et les regards de la raison s’y habituent graduellement à des clartés de plus en plus resplendissantes ; mais parmi tous ces rayons qui partent de l’éternel foyer de lumière, il en est un que les beautés de l’univers et la sérénité de la conscience réfléchissent infailliblement, et dont les yeux les moins attentifs sont frappés. Ce rayon, c’est celui de l’intelligence divine. Que la cause de l’ordre physique et de l’ordre moral soit une cause intelligente, voilà ce que la raison comprend le plus tôt et le mieux. Parcourez les écrits où il est traité de la Providence, depuis l’entretien de Socrate avec Aristodème le Petit jusqu’au récent volume de M. de Rémusat intitulé Philosophie religieuse, et qui présente avec exactitude l’état actuel de la question : vous reconnaîtrez que la notion de providence enferme, implique nécessairement l’idée d’intelligence. Les stoïciens eux-mêmes, dont le Dieu est matériel, incorporé au monde et intérieur à son œuvre, ont mieux aimé attribuer la raison à la matière que d’admettre une providence dépourvue de raison, et si leur Dieu n’est que du feu, c’est du moins un feu intelligent, un feu artiste : solution inadmissible, mais qui démontre à quel point il est difficile de concevoir une Providence à laquelle l’intelligence manquerait. Cette difficulté ou plutôt cette impossibilité radicale, on l’affronte aujourd’hui. Proclus, lui aussi, l’avait affrontée. Ne parlons donc ici que de ce philosophe, et voyons comment il est sorti de la lutte que sur ce point il a engagée avec la raison.

Il a sur la Providence deux doctrines : l’une qui est le fruit de sa méthode négative, l’autre qui a sa source dans un procédé scientifique fort différent. Ces deux doctrines sont tellement distinctes qu’il n’y a pas moyen de les confondre. Proclus est religieux au plus haut degré ; le dogme de la Providence lui est cher, tellement cher, qu’il le défend éloquemment et fortement contre les objections qui avaient cours de son temps[1]. Toutefois il n’est pas moins attaché à sa conception alexandrine d’un Dieu ineffable, purement un, vide d’attributs. Il essaie donc de tirer l’idée de Providence

  1. Voyez les trois traités sur la Providence, la Liberté et le Mal, nouvelle édition de M. Cousin, p. 78.