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cette division, il faut qu’un esprit, le mien ou le vôtre, l’accomplisse, de même que l’eau ne sortira pas du vase dont j’ai parlé, si une main ne le vient incliner. Cependant, au moment où l’unité de Proclus, qui est proprement une idée générale, s’abaisse, c’est-à-dire se brise en ses unités inférieures, il n’existe encore aucun esprit, ni humain ni divin, pour la diviser en ses multiples, et elle-même ne possède aucune force, aucune faculté capable d’opérer cette division. Donc, quoi qu’en dise Proclus, son unité restera unité ; elle ne s’abaissera pas, elle ne se divisera pas, elle ne produira rien, et rien ne viendra au monde.

Ce n’est pas tout. Accordez au philosophe que cette impossibilité devienne possible ; admettez qu’un vase plein d’eau épanche l’eau qu’il contient sans que personne ne l’incline, concédez-lui que son unité morte, inerte, indéterminée, prenne je ne sais où, puise, si l’on veut, dans son néant même la force de se diviser : que produira cette division ? Évidemment rien autre chose que le morcellement du tout primitif. En se brisant, l’unité produira des unités pareilles à la première, abstraites et indéterminées. Par quel miracle ces unités se changeraient-elles en autant d’intelligences ? On ne le voit pas. Entre l’unité pure et l’intelligence il y a un abîme. De l’une à l’autre, il faudrait un passage. Ce passage, ce n’est pas l’abaissement, nous l’avons prouvé. Le dieu de Proclus n’est donc ni un principe, ni une cause, ni une source d’êtres. Il n’est rien, il ne fait rien et ne peut rien faire. Pourquoi ? Parce que ce dieu est radicalement indéterminé, parce que c’est au fond une négation pure, et qu’en théodicée la méthode négative adoptée par Proclus ne mène qu’au néant.

Chose remarquable, et qui justifiera les développement dans lesquels on vient d’entrer, Hegel, à part la différence des termes, procède comme Proclus, et sa dialectique, comme celle du penseur néoplatonicien, présente dès le début un vice qui l’arrêterait court, si l’auteur de la Logique, par une frappante inconséquence, ne se hâtait d’introduire dans ses déductions des notions empruntées à l’expérience. Mais si Proclus s’est fourvoyé au point de départ, si sa méthode est absolument impuissante, où donc a-t-il puisé sa doctrine de la Providence, admirable à tant d’égards ? C’est qu’il a presque constamment employé, à son insu, la méthode analogique ou plutôt l’induction rationnelle, qui est aussi féconde que la méthode négative est stérile. Il faut montrer maintenant quel parti il a tiré de cette méthode, à quel maître il l’avait empruntée et quels services cette méthode, complétée et corrigée, pourrait rendre à la science actuelle.