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pas éludé cette loi ; sa première trilogie de l’être, du non-être et du devenir contient le devenir, qui est une façon déterminée, quoique fuyante, d’exister. Avant Hegel, Proclus avait subi cette nécessité imposée à la connaissance humaine. Au lieu de se contenter, comme Plotin, de poser au faîte des existences l’Un, d’où émaneront tous les êtres, Proclus tente de prouver l’existence de l’Un, qui est, dans sa pensée, aussi indéterminé que l’Être de Hegel, identique au non-être, l’a été plus tard. Voilà cependant que pour faire accepter à la raison cet Être, cet Un, cet indéterminé, sans lequel sa doctrine s’écroulerait du sommet à la base, Proclus est contraint de déterminer son indéterminé et de l’appeler le bien et la cause, bref de le baptiser des noms les plus significatifs et les plus déterminans que contiennent les dictionnaires du sens commun et de la science. Son système débute par une contradiction flagrante qui le suivra jusqu’à ses derniers développemens.

Proclus a lui-même aperçu cette inconséquence ; il a voulu la justifier. Y a-t-il réussi ? On doit se le demander, car, s’il a eu le droit de la commettre, d’autres ont eu aussi après lui ou auront encore dans l’avenir ce même droit. Sa théorie des attributs de Dieu nous l’apprendra. En effet, l’impossibilité de rien attribuer au premier principe y est érigée en doctrine régulière et scientifique. C’est aujourd’hui une crainte très vive et très sérieuse chez certains esprits que celle de rabaisser Dieu en le revêtant des puissances et des facultés de l’âme humaine, ces puissances fussent-elles conçues comme agrandies jusqu’à l’infini. On redoute l’anthropomorphisme, et on a raison ; mais la philosophie en est-elle donc réduite à la triste alternative de choisir entre l’anthropomorphisme et un Dieu égal à zéro ? Platon ne l’avait pas cru : il avait considéré comme impies ces fables poétiques où les dieux se souillaient des plus honteuses passions et donnaient aux hommes les pires exemples ; néanmoins le Dieu que sa raison avait conçu était quelque chose, disons mieux, ce Dieu était quelqu’un, et quelqu’un de parfait. Proclus est trop platonicien et trop religieux pour avouer que son Dieu soit un pur néant. Et cependant il n’ose appliquer à la connaissance du principe inaccessible et ineffable qu’une méthode négative. Il lui répugne d’employer à cette occasion ce qu’il appelle la trompeuse analogie, c’est-à-dire cette sorte d’induction dont nous parlions tout à l’heure, et qui consiste à transporter en Dieu nos propres perfections revêtues d’infinitude. Nier de Dieu toutes les qualités des êtres lui paraît le plus sûr ; mais, par un détour imprévu, il transforme ses négations en véritables affirmations. Il prétend que refuser à Dieu une qualité, c’est lui accorder, lui reconnaître la puissance de créer cette qualité en dehors de sa nature. À l’en