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celui que fait la théodicée moderne quand elle dit, en substituant le mot parfait au mot bien : Je désire et je conçois le parfait ; si ce parfait n’est pas la perfection suprême, j’en conçois un autre qui est la suprême perfection, et celui-ci est le vrai parfait que ma raison affirme. Ainsi il existe un être qui est la perfection absolue, et cet être c’est Dieu. — Voici enfin, brièvement résumée, la troisième preuve de Proclus. Il faut une cause première. Supposez en effet qu’une telle cause n’existe pas : dans cette hypothèse, ou bien il n’y aura plus d’ordre dans l’univers, ce qui est faux, ou bien les causes, se produisant mutuellement, formeront un cercle où chacune d’elles sera effet autant que cause, de sorte qu’il n’y aura pas de véritable cause, — ou bien enfin on ira à l’infini dans la poursuite des causes ; mais la science doit s’arrêter dans cette recherche, ou n’être plus la science. Donc il y a une cause première de laquelle tous les êtres émanent.

Hâtons-nous de le remarquer : si ces deux dernières preuves de l’existence de Dieu ne sont pas valables, aucune ne vaut, car la science actuelle n’en a pas d’autre à offrir ; mais elles n’empruntent nullement leur solidité, reconnue par tant d’écoles, à l’idée fondamentale du néoplatonisme. Cette idée, on le sait déjà, c’est que Dieu est l’unité, et rien que l’unité, c’est-à-dire, quelque chose de radicalement indéterminé. Dès le premier pas, Proclus, comme tous ceux qui de près ou de loin le suivent, est obligé de sortir de sa théorie pour rentrer dans la doctrine inévitable d’un Dieu déterminé et vivant. On ne redira jamais assez, surtout aujourd’hui, qu’un Dieu pareil à l’Un de Proclus ne toucherait d’aucun côté notre intelligence, que nous n’en aurions ni le plus vague sentiment, ni l’idée la plus confuse, que personne n’y penserait et que nul ne songerait à démontrer qu’il existe. Au vrai, le philosophe qui se prouve à lui-même ou qui prouve aux autres que Dieu est réellement ne découvre pas Dieu, il ne le prouve même pas ; il s’assure seulement, et il assure ceux qui l’écoutent ou le lisent, que la raison ne peut nier Dieu sans se nier elle-même. Qui ne voit toutefois que s’assurer qu’on ne peut nier l’objet d’une idée, c’est déjà connaître cet objet, tout au moins le concevoir ? Et comment concevoir un objet absolument indéterminé, puisque l’indéterminé pur est insaisissable à la pensée ? Quelque idée de Dieu, par conséquent l’idée de quelque détermination ou d’une certaine manière d’être en Dieu, est indispensable à qui parle de Dieu. Rien ne sortira jamais de rien. Pour déduire quoi que ce soit d’une idée, il faut supposer que cette idée contienne plus que le rien. Pour traiter du Dieu indéterminé, force est bien de le déterminer à l’avance et de mettre un peu de vie dans la notion qu’on en pose dès le début. Hegel n’a