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ne serait pas, quand il y a un trône, un criminel de lèse-majesté ! Ce serait seulement un homme qui s’est trompé !… Plaignez-moi, ma bonne sœur, je ne méritais pas cette injure, moi qui ai cherché à faire tant de bien, qui ne me suis souvenue que j’étais fille de Marie-Thérèse que pour me montrer ce qu’elle m’avait recommandé en m’embrassant à mon départ, Française jusqu’au fond du cœur. Être sacrifiée à un prêtre parjure, à un intrigant impudique, quelle douleur ! Mais ne croyez pas que je me laisse aller à rien d’indigne de moi ; j’ai déclaré que je ne me vengerais jamais qu’en redoublant le bien que j’ai fait… » Elle disait aussi ce mot d’un grand cœur brisé : « il leur sera plus aisé de m’affliger que de m’amener à me venger d’eux. » Marie-Antoinette souffrait, elle ne le cache pas, de cette haine qui montait de tous les côtés jusqu’à elle, que le procès du collier ne faisait qu’irriter, et qui était telle que peu après on n’osait exposer son portrait peint par Mme Lebrun de peur qu’il ne fût insulté. Elle avait le chagrin de la popularité perdue, et lorsque, dans ses voyages à Paris, elle trouvait des réceptions froides, presque hostiles, bien différentes de celles qu’elle avait trouvées comme dauphine et même aux premiers temps du règne, elle se disait : « Que leur ai-je donc fait ? »

Ces épreuves sont la grande crise dans la vie morale de la reine. À dater de ce moment, les joies sont courtes, les peines sont vives et longues, les préoccupations sont incessantes ; tout devient sérieux. La force des choses provoque en quelque sorte Marie-Antoinette à s’essayer aux affaires, à prendre ce rôle d’action et d’influence devant lequel elle a reculé jusque-là, et chez elle le sentiment de la mère vient en aide au sentiment de la reine menacée, car cette femme qu’on dit frivole, dès qu’elle est mère, elle s’occupe de ses enfans ; elle les étudie, elle les connaît, elle a sur leur nature, pour leur éducation, une singulière justesse de jugement, et c’est elle qui dit de la première de ses filles, de celle qui sera la duchesse d’Angoulême : « Ma fille… a le caractère un peu difficile et d’une fierté excessive ; elle sent trop qu’elle a du sang de Marie-Thérèse et de Louis le Grand dans les veines. Il faut qu’elle s’en souvienne pour être digne de son sang ; mais la douceur est une qualité aussi nécessaire et aussi puissante que la dignité, et une nature orgueilleuse éloigne les affections… » On pourrait se représenter Marie-Antoinette à cette époque telle que la peignait justement Mme Lebrun, grave, déjà pensive et entourée de ses enfans, dont l’un est sur ses genoux. C’est par ce sentiment de mère au moins autant que sous la pression de l’inévitable nécessité qu’elle se trouvait poussée à prendre le rôle d’une reine sérieuse et politique. Malheureusement elle ne pouvait porter dans les affaires une expérience qu’elle n’avait