Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 55.djvu/374

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

est pour nous le secret des violences que Proclus a fait subir aux plus hautes pensées de Platon. Là aussi est la cause de sa passion pour les opérations théurgiques. Proclus adresse des hymnes et des sacrifices aux dieux de tous les pays, à ceux de la Grèce comme à ceux des Arabes et des Égyptiens ; mais c’est le dieu de Jamblique que son âme cherche au-dessus des autres divinités, et c’est à la puissance théurgique qu’il aspire. Phénomène étrange et bien digne des plus sérieuses méditations, ce même Proclus qui n’osait pas nommer Dieu et qui, comme certains modernes, aurait craint de le rabaisser en lui attribuant seulement l’existence, Proclus, par de ridicules incantations et en prononçant des mots inintelligibles empruntés aux barbares, usurpait la puissance divine elle-même, commandait aux élémens, guérissait ses amis malades, prévoyait en songe sa destinée future et connaissait en dormant que l’âme qui lui était échue en partage n’était autre que celle de Nicomaque le Pythagoricien. Ce grand esprit, ce pénétrant génie se mettait à l’école d’une femme, Asclépigénie, fille du second Plutarque, et apprenait d’elle le sens, l’usage, l’efficacité des superstitions chaldéennes. On pourrait, il est vrai, alléguer à la décharge de Proclus que tous ses contemporains en étaient là. Cependant on verra que sa doctrine théologique n’était pas de nature à l’affranchir du joug de ces folles imaginations[1].

Ce qui prouve encore que, quoique Grec, quoique possédant à fond la philosophie grecque, quoique disciple avoué de Platon, dont il a commenté les plus importans dialogues, Proclus avait cédé à l’attrait prédominant des conceptions théologiques de l’Orient, c’est le rang inférieur qu’il assigne aux dieux de la Grèce dans sa hiérarchie des divinités. Moins ébloui par la contemplation vertigineuse d’un dieu sans détermination, semblable au vide ténébreux d’un abîme et égal au néant, il eût compris et retenu, en la perfectionnant, la méthode que Platon avait appliquée à l’interprétation des mythes du paganisme. L’auteur du Timée et du Cratyle avait été, pour parler le langage de la science moderne, un symboliste de génie. Il avait vu, non pas le premier, mais avec une puissance d’intuition toute nouvelle, que chacune des divinités de l’olympe cachait, sous des formes plus ou moins grossières, soit la conception de Dieu lui-même, soit la notion de l’un quelconque des attributs divins. D’une main délicate et prudente, il avait osé dégager du sein des fables poétiques et populaires le sens religieux qu’elles

  1. Sur les thaumaturges du siècle de Proclus et des temps précédens, on peut consulter l’ouvrage de M. Alfred Maury intitulé la Magie et l’Astrologie, chap. iii, iv et v, et la Vie d’Apollonius de Tyane, de Philostrate, traduite par M. A. Chassang, maître de conférences à l’École normale.