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tourer de merveilles le berceau et le génie des plus illustres penseurs. Platon lui-même a sa légende, où Apollon apparaît et joue à son égard le rôle de père en s’unissant mystérieusement avec sa mère Périctyone ; mais cette légende est courte et purement poétique. Au contraire, celle de Proclus est donnée par Marinus comme authentique, et elle est surchargée de visions, d’apparitions, d’avertissemens divins. Détachons-en quelques traits remarquables. Proclus naît à Byzance de parens originaires de Lycie, Patricius et Marcella, simples mortels, quoique de race noble et pleins de vertus ; mais c’est Minerve elle-même qui le reçoit au sortir du sein maternel et qui fait pour lui l’office de sage-femme, c’est Minerve qui a voulu qu’il vît le jour à Byzance, parce que cette ville est chère à la déesse, c’est elle qui protége ses premières années et son adolescence. Elle lui apparaît en songe et l’invite à cultiver la philosophie. Dès lors le jeune inspiré voue à sa patronne un culte fervent ; il l’aime d’un amour qui passe les limites mêmes de l’enthousiasme. Bientôt ses parens l’emmènent à Xanthe, leur ville natale, dont Apollon était le dieu protecteur. C’est encore, dit Marinus, une faveur divine qui accorda cette seconde patrie à Proclus, afin que celui qui devait exceller dans toutes les sciences fût élevé et instruit par le dieu qui conduit les Muses. Un jour Proclus tombe dangereusement malade : on désespère de sa vie ; mais voilà qu’un homme dans la fleur de la jeunesse et d’une parfaite beauté s’approche du lit, touche la tête du patient, le guérit et disparaît. C’était Télesphore lui-même, l’un des dieux du cortége d’Esculape. Minerve devait se rendre visible à Proclus plusieurs fois encore, d’abord pour lui ordonner d’aller étudier la philosophie à Athènes même, puis pour le guérir d’un mal terrible ; mais de toutes ces visions la plus mémorable fut la suivante. Proclus était à Athènes lorsque ces hommes (les chrétiens) qui n’hésitaient pas, dit Marinus, à déplacer les monumens les plus sacrés enlevèrent la Minerve d’or et d’ivoire qui était l’honneur du Parthénon. La nuit d’après, une femme d’une pure beauté se présente à Proclus et lui prescrit de construire aussitôt un temple. « Il plaît, dit-elle, à Minerve, ta souveraine, de demeurer chez toi désormais. » C’est ainsi que le plus célèbre maître de la dernière école païenne de philosophie vivait en commerce direct et fréquent avec les dieux.

Au reste, si jamais homme fut digne d’entrer dès ce monde en société avec les puissances supérieures, ce fut Proclus. Quand on a réduit de moitié les proportions extraordinaires que Marinus prête à son maître, il reste encore une noble et grande figure, la figure d’un sage, presque celle d’un saint. Le jour où la philosophie aura rencontré son Plutarque, Proclus sera placé aux premiers rangs