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audacieuse. Il fallait donc croire que la reine, qui avait refusé obstinément ce joyau, même quand le roi le lui offrait, pouvait aller se jeter par fantaisie dans une intrigue avec la première venue ! Il fallait admettre que Marie-Antoinette, qui ne témoignait à M. de Rohan que répugnance et froideur, qui ne lui avait pas même parlé depuis dix ans, allait tout à coup le recevoir en grâce pour l’achat d’un bijou, qu’elle avait pu, comme elle le disait, « donner le soin de ses atours à un grand-aumônier de France ! » Il fallait admettre qu’il pouvait y avoir quelque lueur de vérité dans ce rendez-vous nocturne du parc de Versailles, où Mme de La Motte faisait figurer une fille du monde, selon le mot du temps, la d’Oliva, et où la libertine fatuité du cardinal avait cru recevoir de la reine elle-même une rose comme emblème des faveurs futures !

C’est pourtant dans ce tissu d’imaginations malsaines que l’honneur de la souveraine était pris au milieu d’une cour dont la mésaventure de M. de Rohan remuait les passions, devant une société qui depuis un demi-siècle était à l’école du mépris des grands. Les élémens de toute une situation sont là : les ennemis de la reine redoublant d’animosité et cherchant à la compromettre pour sauver le grand-aumônier, les maisons alliées des Rohan, les Condé, les Soubise, les Guéménée, prenant le deuil et allant dans ce costume faire la haie sur le passage des conseillers de la grand’chambre au moment du procès, les femmes les plus haut placées s’employant à suborner les juges, la mode même s’en mêlant et inventant pendant la détention la couleur cardinal sur la paille, — le parlement, que Louis XVI avait rappelé de l’exil, se précipitant dans une voie au bout de laquelle était l’abaissement de la royauté, l’opinion affolée accueillant tout, croyant tout et tirant parti de tout !

Que le cardinal ne fût pas un fripon, le complice d’un détournement de diamans, c’était assez clair ; on voyait bien qu’il n’était tombé dans ce guêpier que par un mélange de suffisance dépravée et de légèreté ambitieuse. Il n’est pas moins vrai que son acquittement absolu était une sorte de condamnation morale de la reine. Marie-Antoinette ressentit cet acquittement comme un outrage, et elle écrivait à sa sœur Marie-Christine avec une sincérité d’émotion mêlée d’amertume et de fierté : « Je n’ai pas besoin de vous dire quelle est toute mon indignation du jugement que vient de prononcer le parlement, pour qui la loi du respect est trop lourde. C’est une insulte affreuse, et je suis noyée dans des larmes de désespoir. Quoi ! un homme qui a pu avoir l’audace de se prêter à cette sotte et infâme scène du bosquet, qui a supposé qu’il avait eu un rendez-vous de la reine de France, de la femme de son roi, que la reine avait reçu de lui une rose et avait souffert qu’il se jetât à ses pieds,