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sait avec quelle énergie le plus célèbre des guerriers de la Roumanie défendit Belgrade contre Mahomet II. Il était par malheur d’une intolérance excessive. Une pesma rapporte que George Brankovitch demanda un jour à Hounyadi quelle serait la condition religieuse des Serbes, s’il devenait maître de leur pays. « Je les convertirais à la religion catholique, » répondit-il. George adressa la même question au padishah. « Je bâtirais, dit l’Ottoman, une mosquée à côté de chaque église, et mes sujets seraient libres ou de se prosterner devant la mosquée ou de se signer devant l’église. »


IV. — PERIODE CONTEMPORAINE.

La domination étrangère fut féconde en épreuves douloureuses dont les pesmas ont conservé plus d’un souvenir. Les poètes populaires, qui avaient consolé la nation dans ses jours de deuil en lui racontant les exploits de ses pères, suivirent les haïdouks dans les forêts, dans les gorges des montagnes, et parurent sur les premiers champs de bataille quand Tsèrni-George donna le signal de l’insurrection. Les chants qui nous ont transmis les péripéties de la guerre de l’indépendance ont un genre d’intérêt qu’il est impossible de méconnaître. En les lisant, on se fait une juste idée du caractère, des habitudes et des prétentions des chefs qui ont pris part à la lutte. On est surtout frappé de la transformation laborieuse qui s’opère en eux, celui-ci devenant de haïdouk général, et cet autre quittant la vie pastorale pour exercer les plus hautes fonctions de l’état. Je me rappelle avoir vu en Serbie certaines physionomies éminemment martiales, certaines mœurs primitives, à la fois simples et rudes, qui semblaient appartenir à un autre âge : on pouvait se croire parmi des héros de l’Iliade ou avec ces guerriers qu’ont chantés les pesmas, et dont le souvenir est encore populaire sur les bords du Danube,

Aujourd’hui, après une lutte terrible, une fraction de la nation serbe, établie entre la Save, le Danube, le Timok et la Drina, commence à recueillir le fruit des travaux et des souffrances de ses pères. La principauté de Serbie, malgré les liens qui la rattachent encore à la Turque, possède un gouvernement national, et peut, à l’ombre des étendards qui ont tant de fois vu fuir les Turcs, braver les sultans et les pachas. La terre serbe n’est point un de ces vieux pays dont le sol usé a perdu les élémens de la fécondité et de la vie. Le pays est généralement montagneux ; mais ces montagnes, riches en cuivre, en argent et métaux divers, renferment des trésors actuellement non exploités. En outre, loin d’être dépouillées de leur parure comme en Espagne et en Italie, elles sont couvertes d’épaisses forêts, qui leur assurent un large approvisionnement