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sous la protection de Mourad Ier : il excita les infidèles à faire la guerre à son pays, et, ainsi que son frère André, les conduisit à Kossovo. Après la bataille, l’un et l’autre reprirent possession de leurs domaines comme vassaux du padishah, et Marko, qui commandait à Rovina les troupes serbes auxiliaires, périt dans cette journée si glorieuse pour les Roumains, où le domnu de Valachie, Mircéa Ier Bassaraba, dont le nom redouté revit dans les pesmas, écrasa l’armée de Bayézid le Foudre et le poursuivit l’épée dans les reins jusque sous les murs d’Andrinople (1398).

Il semble que la poésie populaire, justement sévère pour la trahison de Vouk Brankovitch, n’avait pas beaucoup de motifs pour exalter Marko ; mais il faut bien reconnaître que l’idéal de cette poésie, si noble au début, avait perdu de sa pureté. Tout fait croire d’ailleurs que, malgré sa conduite déloyale, Marko, devenu vassal au padishah, consola plus d’une fois le patriotisme des Serbes par des prouesses dans les combats auxquels il prit part, et surtout par la fierté qu’il montra dans ses relations avec la puissance suzeraine. L’histoire de cette époque prouve que les vassaux de la Sublime-Porte lui faisaient parfois payer fort cher une soumission plus ou moins forcée. La conduite du vainqueur de Rovina en est un exemple. Le fils de la princesse serbe Voïsava, Scander-Beg, la gloire de l’Albanie, ce « diable blanc » si redouté des Turcs, que les Chkipetars célèbrent encore dans leurs chants nationaux, n’avait-il pas servi d’abord Mourad II contre la Serbie avant de devenir la terreur de Stamboul ? Sans doute il est possible que le fils du krâl ait eu, comme Roland, la bonne fortune de voir tomber sur sa tête toutes les couronnes tressées par cet enthousiasme populaire qui crée si aisément un monde de mythes ; néanmoins on trouve dans certains chants un tel accent de vérité qu’on peut admettre que Marko, une fois sa triste rancune satisfaite, ne perdit aucune occasion de montrer aux vainqueurs de Kossovo qu’il avait dans les veines le sang bouillant des héros serbes.

La conscience du peuple ne pouvait d’ailleurs imputer au libre choix de son héros ses relations avec les plus cruels ennemis de la Serbie. On se rappelle que la malédiction de Voukachin condamne Marko à ne pas rendre l’âme avant d’avoir servi le tsar des Turcs. En outre toute l’existence de Marko obéit à deux influences opposées qui en expliquent les contradictions choquantes. Si le krâl Voukachin est à la fois violent, ambitieux et perfide, s’il personnifie toutes les convoitises brutales et la ruse déloyale d’une féodalité sans scrupule et sans frein, Euphrosine, mère de Marko, est le modèle de toutes les vertus. Cette femme, qui représente sans cesse à son fils que « le mal ne peut amener le bien, » et qu’elle est