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qu’il ne voulait reposer en aucun monastère étranger, mais dans le beau couvent de Ravanitza, fondé de son propre argent, « sans qu’il en coûtât un para, — ou une larme à son pauvre peuple. »


III. — PERIODE DES DESPOTES. — MARKO KRALIEVITCH.

Les Turcs ont prétendu, sans tenir compte des affirmations des pesmas, que la victoire de Kossovo avait été faiblement disputée ; mais la conduite de Bayézid Ier, successeur de Mourad, prouve que l’armée des vainqueurs était réellement épuisée. En effet, le padishah laissa aux Serbes une demi-indépendance, et au lieu de leur imposer le traître Vouk Brankovitch, il appela au trône du tsar son fils Etienne IX Lazarévitch, qui devait partager l’autorité avec Militza, veuve de Lazare (1392). Le despote, — tel était le titre du souverain vassal de la Turquie, — fut obligé de donner pour femme au vainqueur sa sœur Milesa. Son successeur, George Brankovitch, fut également forcé de livrer à Mourad II sa fille Mara. Sans parler des inconvéniens politiques qui résultaient de ces unions, puisque les fils qui en pouvaient naître devenaient des prétendans au trône de Serbie, qui ne comprend les douleurs des mères chrétiennes livrant leurs filles à l’islamisme et au harem ? A une autre époque, la poésie populaire se serait peut-être emparée d’un sujet aussi pathétique ; mais avec les Turcs arrivent déjà les mœurs musulmanes, et l’idéal des poètes serbes s’abaisse tellement qu’on les voit mettre sur la même ligne les élans d’une bravoure impétueuse et les excès de la force brutale, les fiers instincts du patriotisme révolté et les exploits d’un buveur intrépide. Au lieu d’un Etienne Nemania, d’un Etienne Douchan ou d’un Lazare, la scène va être exclusivement occupée par Marko Kralievitch.

Le Roland, le Cid de la Serbie, Marko, était, nous l’avons déjà vu, fils du krâl Voukachin, qui joua un rôle considérable après la mort de Douchan. Marko, dont parlent si souvent les pesmas, avait tellement disparu des annales d’un peuple fort pauvre en historiens, qu’on pourrait s’étonner raisonnablement de l’importance que la poésie populaire attache à son nom ; mais depuis la fondation de la principauté de Serbie, les Serbes ont senti la nécessité de commencer à recueillir et à étudier les monumens de leur histoire. Grâce aux renseignemens publiés par la Société de littérature serbe de Belgrade, on peut maintenant se faire une juste idée de l’existence agitée de Marko.

Après la mort de Voukachin, tué sur les bords de la Maritza, Marko avait refusé de se soumettre à l’autorité de Lazare, chef reconnu par toute la nation ; il était passé en Turquie, et s’était mis