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ainsi débaptisé le présent que m’a fait le roi… L’indignation du roi quand il apprend des choses de cette nature par les ministres et par le lieutenant de police dépasse la mienne ; mais la plupart du temps comment y remédier ? En faire du bruit serait ajouter au scandale. » Pendant que Marie-Antoinette, émue, troublée, se débattait dans l’impuissance contre cette guerre des bourdonnemens mondains, des courtisans étourdis et factieux murmuraient, autour d’elle le couplet venimeux :

Petite reine de vingt ans,
Vous repasserez la barrière…


Eh ! non, elle ne l’a pas repassée ; mais parmi ceux qui faisaient ou qui répétaient ces chansons beaucoup l’ont passée, tandis que Marie-Antoinette elle-même restait la captive de leurs folies et de leurs petits vers.

Sans doute, on ne peut s’y méprendre, il y a dans ce caractère libre, ouvert et facile de la reine quelque chose qui prête aisément aux médisances, qui les excite, et qui devenait surtout un péril dans une société où l’esprit raffiné, aiguisé, suppléait au sens moral, où le respect se perdait, où on se moquait de tout, quelquefois avec la légèreté du beau monde, d’autres fois avec une audacieuse licence. Marie-Antoinette avait des séductions, et elle semblait se plaire à en essayer la puissance comme en se jouant. Elle réunissait ces deux choses souvent dangereuses pour une femme et encore plus pour une reine, la grâce caressante et la promptitude de l’ironie ; en d’autres termes, elle pouvait trop charmer sans le savoir et blesser sans le vouloir. Elle était vive, soudaine dans ses affections, aimant le plaisir et s’y livrant ingénument au point de se compromettre, manquant parfois un peu de suite et de sérieux dans la manière de se mêler aux affaires. C’étaient ses faiblesses ; mais elle avait de la droiture, et à l’heure où déjà l’on attachait tristement à son nom le terrible mot d’Autrichienne, elle écrivait dans la plus grande intimité à son frère Joseph II, qui la pressait d’agir sur le roi pour que la France se prêtât à je ne sais quelles combinaisons : « Vous comprendrez que je ne sois pas libre aujourd’hui sur les affaires qui concernent la France. Vraisemblablement je serais fort mal venue à m’en mêler, surtout sur une chose qui n’est pas acceptée au conseil. On y verrait faiblesse ou ambition. Enfin, mon cher frère, je suis maintenant Française avant d’être Autrichienne… » Je ne dis pas que malgré elle, dans sa manière d’être Française, il n’y eût encore de l’Autrichienne ; il y avait assurément au-dessus toute la sincérité, la bonne volonté d’être « Française jusqu’au bout des ongles, » comme elle l’avait dit tout d’abord en devenant dauphine.