Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 55.djvu/301

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la mer encore demi-obscure est charmant ; il y a une joie, une ampleur toute païenne dans les florissantes déesses qui se tiennent par la main, formant des pas, comme pour une fête antique. En effet, il copiait l’antique, par exemple les Niobides, et de la sorte il s’était fait une manière ; le type une fois trouvé, il le répétait toujours, consultant, non pas la nature, mais l’agrément du spectateur. Aussi la plupart de ses figures ressemblent à des gravures de modes, par exemple l’Andromède de la salle voisine ; celle-ci n’a ni corps ni substance, elle n’existe pas, elle n’est qu’un ensemble d’agréables contours. Le Guide est un artiste heureux, admiré, mondain, qui s’accommode au goût du jour, qui plaît aux dames. Il disait : « J’ai deux cents manières différentes de faire regarder le ciel par de beaux yeux. » Ce qu’il apporte dans ce monde léger, galant, déjà affadi, où les sigisbés fleurissent, ce sont des délicatesses d’expression féminine inconnues aux anciens maîtres, ce sont des physionomies et des sourires de société. La véritable énergie, la force intérieure de la passion franche ont disparu déjà en Italie ; on n’aime plus les vraies vierges, les âmes primitives, les simples paysannes de Raphaël, mais de touchantes pensionnaires de salon ou de couvent, des demoiselles bien apprises ; l’ancienne rudesse s’est effacée, il n’y a plus trace de la familiarité républicaine ; les gens se parlent cérémonieusement, selon l’étiquette, avec des titres ronflans et des phrases obséquieuses ; depuis la conquête espagnole, ils ne s’appellent plus frère ou compère, ils se donnent du monseigneur à travers le visage. Le goût a changé avec l’état des âmes ; des gens raffinés et mous ne peuvent aimer des figures simples et fortes ; il leur faut des rondeurs maniérées, des sourires doucereux, des teintes curieusement fondues, des visages sentimentaux, l’agrément et la recherche en toutes choses, quelquefois, par contraste, les rudesses du Caravage, la trivialité et la crudité de l’imitation littérale, comme un verre d’eau-de-vie après vingt verres d’orgeat sucré. On sent ce contraste en comparant, à la galerie Barberini, deux portraits célèbres, deux figures qui, à cent cinquante ans de distance, ont été des objets d’amour et des modèles de beauté : la Fornarina, peinte par Raphaël, et Beatrix Cenci, peinte par le Guide. La Fornarina est un simple corps, tête brune, le regard dur, l’expression vulgairement joyeuse, les rebords des yeux fortement marqués, les avant-bras très gros, les épaules trop tombantes, une vigoureuse femme du peuple, pareille à cette boulangère entretenue par lord Byron, qui le tutoyait et l’appelait chien de la Madone ; Raphaël n’y trouvait certainement qu’un animal humain bien membre, bien portant, qui lui fournissait des motifs de lignes. Tout au contraire la Cenci est une délicate et jolie pâlotte ; son petit menton,