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une jeune et vigoureuse femme, et dans sa force il y a presque de la rudesse. Devant elle, trois femmes sont sur une nue, toutes larges, amples, bien plus originales et naturelles que celles de l’Aurore du Guide. Plus avant encore folâtrent trois jeunes filles rieuses qui éteignent les étoiles. Un rayon de lumière nouvelle traverse à demi leurs visages, et le contraste des portions éclairées et des portions obscures est charmant. Parmi les nuages roussâtres et les fumées matinales qui s’évaporent, on aperçoit l’azur profond de la mer.

Sur une courbure de la voûte dort une femme assise, vêtue de gris, la tête appuyée sur sa main ; près d’elle, un enfant nu est couché sur un linge et dort aussi. Ce sommeil est d’une vérité admirable ; la profondeur de l’engourdissement où le sommeil plonge les enfans se marque dans la petite moue des lèvres, dans le froncement léger des sourcils. Guerchin ne copiait pas des antiques comme le Guide ; il étudiait le modèle vivant comme le Caravage ; il observait les particularités de la vie réelle, les mines, les gaîtés, les mutineries, tout ce qu’il y a de capricieux dans la passion et l’expression d’un visage. Ses personnages sont parfois lourds et courts ; mais ils vivent, et le mélange de lumière et de clair-obscur sur le corps des deux dormeurs est la poésie du sommeil lui-même.

Les palais.

Ces villas, ces jardins, les palais qui remplissent le Corso sont les restes de la grande vie aristocratique. Il n’y a plus rien de semblable à Paris ni à Londres ; les parcs privés y sont devenus des promenades publiques ; il ne reste aux grandes familles que des hôtels, plus souvent des maisons munies d’un petit morceau de terrain, où le maître du logis ne se promène que sous les regards des maisons voisines. Tandis que dans les pays du nord l’égalité s’établissait, l’aristocratie ici s’affermissait et se renouvelait par le népotisme. Pendant trois siècles, les papes ont employé la meilleure partie des revenus publics à fonder des familles ; ils étaient bons parens, et pourvoyaient les enfans de leurs sœurs et de leurs frères. Sixte-Quint donne à un de ses petits-neveux le cardinalat et cent mille écus de bénéfices ecclésiastiques. Clément VIII, en treize ans, distribue à ses neveux, les Aldobrandini, en argent comptant seulement, un million d’écus. Paul V donne au cardinal Borghèse cent cinquante mille écus de bénéfices, à Marc-Antoine Borghèse une principauté, plusieurs palais à Rome, les plus belles villas du voisinage, à tous des diamans, des argenteries, des carrosses, des ameublemens entiers, un million d’écus d’argent comptant. Avec ces profusions, les Borghèse achètent quatre-vingts terres dans la seule campagne de Rome, et d’autres ailleurs. En effet, le pape n’est qu’un grand