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d’hostilité et de dénigrement qui devait aller jusqu’à la multitude pour l’enflammer. D’abord il y avait les tantes du roi, filles de Louis XV, Mme Adélaïde, Mme Sophie, Mme Victoire et Mme Louise, qui était retirée aux Carmélites. Lorsqu’elle était déjà reine, et même après plusieurs années de règne, Marie-Antoinette écrivait un jour à sa sœur : « Plus je vais et plus je soupçonne que ma tante Adélaïde ne m’a pas encore pardonné d’être venue lui enlever la position qu’elle occupait avant mon arrivée. Ses grands moyens la font écouter, mais elle trouve que ce n’est point assez. J’ai travaillé auprès du roi à assurer une maison aux trois sœurs au lieu de la boîte exiguë où elles vivaient ; je n’ai pas la certitude qu’on m’en ait su gré, elle surtout. Ma tante Victoire avait une bonté maternelle pour moi que j’ai vue souvent se raviver ; mais on dirait qu’elle a fini par être entraînée par les deux autres. » L’impression était juste sans être complète. Ces tantes du roi, qui avaient montré un certain dévouement en restant jusqu’à la dernière heure au chevet de leur père mourant d’un mal contagieux, et qui avaient pris en effet la petite vérole, étaient de vieilles filles revêches, désœuvrées, impatientes d’une position ingrate, soupçonnées dans le public d’aimer fort peu leur père, de n’être restées auprès de lui que par ostentation ou pour relever leur « plate et mince existence. » Mme Adélaïde, qui gouvernait les autres, était surtout une personne sèche, dure, impérieuse, d’esprit remuant et de grandes prétentions, espérant prendre un rôle sous un roi jeune et timide, et d’autant plus portée à voir avec jalousie une dauphine belle, séduisante, faite pour régner. Mme Sophie était cette personne dont Marie-Antoinette disait dès son arrivée en France : « La tante Sophie… est au fond, j’en suis sûre, une âme d’élite, mais elle a toujours l’air de tomber des nues ; elle restera quelquefois des mois entiers sans ouvrir la bouche. » Elle avait quelque chose d’oblique, d’insaisissable ; Mme Campan prétend que, pour reconnaître les gens qu’elle rencontrait sans les regarder, « elle avait pris l’habitude de voir de côté à la manière des lièvres. » Mme Victoire, la meilleure de toutes, avait des intermittences de douceur et de bonté ; c’est celle auprès de qui Marie-Antoinette avait pris la charmante fonction « d’arroser les fleurs de sa fenêtre. » Mme Louise, du fond de son couvent, avait l’œil sur le dehors et ne laissait pas d’avoir de l’influence. Maupeou, quand il était chancelier, allait communier avec elle pour se ménager ses bonnes grâces.

Au premier instant, lorsque Marie-Antoinette n’était que dauphine, les vieilles filles ne laissaient pas trop percer leurs mauvaises dispositions ; bientôt elles passaient à l’aigreur. L’antagonisme éclata dès l’avènement de Louis XVI. Mme Adélaïde, qui avait eu des soins pour l’enfance déshéritée et ingrate de son