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tion d’un autre cabinet ? Que dans ces imbroglios périodiques de la politique espagnole des influences fort peu avouées, encore moins constitutionnelles, s’agitent et se croisent en tous sens, que ces influences se défendent quand on veut les attaquer, c’est une assez vieille histoire, qui n’est après tout que le côté secondaire de la situation de la Péninsule. C’est certainement un phénomène curieux que depuis vingt ans, dans toutes les confusions de la vie publique espagnole, on entende sans cesse murmurer le nom d’une religieuse devenue un personnage soutenant ou paralysant des ministères. Il ne faut pas cependant qu’on s’y méprenne au-delà des Pyrénées : ces influences ne seraient pas si fortes, si les hommes et les partis ne se diminuaient pas eux-mêmes, et cette crise nouvelle, qui a tenu pendant quelques jours Madrid en suspens, ne serait peut-être pas survenue, si le ministère ne s’était trouvé affaibli justement à l’heure où il avait à faire les plus graves propositions, où il avait à prendre un parti dans les questions les plus délicates. Lorsque le cabinet du général Narvaez arrivait au pouvoir il y a trois mois, toute sa force, indépendamment de la notoriété et de l’habileté de ses membres, était dans les promesses libérales qu’il faisait. Il avait à prouver, — c’était son programme et son unique raison d’être, — que la meilleure manière d’être aujourd’hui un intelligent et prévoyant conservateur, c’est de commencer par être un bon libéral, et en effet ses premiers actes étaient la traduction de cette pensée. Il laissait une certaine latitude dans les élections, il rendait la parole aux journaux. L’expérience n’était point si désastreuse, puisque le gouvernement lui-même constatait la parfaite tranquillité du pays dans ces conditions nouvelles. L’abstention des progressistes pouvait passer pour une abdication au moins autant que pour une menace.

Qu’arrivait-il cependant ? Les élections étaient à peine achevées que le ministre de l’intérieur, M. Gonzalez Bravo, lançait une circulaire où perçait déjà un tout autre esprit. Par une singulière logique, au moment où on constatait les heureux effets d’une politique de conciliation et de libéralisme, au moment où on venait de frapper la loi sur la presse d’une sorte de désaveu par une large amnistie, en allant jusqu’à restituer les amendes infligées depuis plusieurs années, on invitait les gouverneurs des provinces à user de toute la puissance répressive de cette même loi pour voir ce qu’elle pouvait produire. C’était peut-être pour satisfaire quelques modérés furieux et consternés ; le cabinet ne semblait pas moins reculer devant le programme qui faisait sa force, et bientôt il s’affaiblissait encore plus par la brusque retraite du ministre des affaires étrangères, M. Llorente, très décidément opposé à toute velléité de réaction ; il s’affaiblissait doublement en perdant un de ses membres les plus habiles, les plus éclairés, un de ceux qui représentaient dans le gouvernement des idées plus libérales, et parce que cette retraite devenait le signe visible d’une lutte entre deux tendances contraires dans l’intérieur du cabinet. Il en est résulté que le jour où le ministère a voulu proposer des mesures d’une certaine gra-