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d’un public crédule pour fausser en certaines circonstances le prix vrai du crédit. C’est là qu’est l’abîme entre M. Pereire et nous. Nous n’essayons pas ici d’opposer une réfutation technique à cette erreur monstrueuse de l’intérêt bas et fixe dans l’état présent du monde économique. On est confondu de surprise au premier moment quand on voit le partisan systématique de la hausse des valeurs, de la hausse des marchandises, de la hausse des terrains, de la hausse des maisons, de la hausse des loyers, de la hausse des fonds d’état, de la hausse de tout, n’anathématiser qu’une seule hausse, celle du loyer des capitaux disponibles. — Mais la hausse de l’intérêt, qui la fait ? Ce sont précisément tous ceux qui escomptent l’avenir, poussés par une impatience qui se refuse à calculer les ressources du présent ; ce ne sont pas les banques qui la produisent ; elles en ressentent l’influence par la diminution de leurs ressources métalliques et l’accroissement des demandes de crédit qui leur sont adressées ; elles se bornent à déclarer le fait, qui est la conséquence de besoins naturels, mais extraordinaires, ou des excès et des erreurs d’un esprit d’entreprise mal réglé.

M. Pereire trahit bien la préoccupation qui inspire ses récriminations et ses exigences dans les dernières pages de sa brochure. Il demande la création d’une banque qui consacrerait les billets qu’elle émettrait à faire des avances sur les titres d’entreprises industrielles ou de travaux publics. Là est l’erreur première et le danger final de son système. La circulation des billets payables à vue et au porteur émis par les banques n’est point une création de capital ; elle n’est que la substitution d’une promesse générale de paiement faite par les banques aux promesses de paiement particulières et à échéance prochaine que les banques ont reçues de leurs cliens et gardent dans leurs portefeuilles. La circulation des banques n’est que la représentation sous une forme générale des fonds de roulement, du capital circulant de la communauté commerciale. Des opérations de crédit telles que des emprunts d’état, les travaux publics, les entreprises industrielles, qui immobilisent, qui fixent dans une création durable les capitaux qu’elles emploient, ne peuvent s’accomplir qu’avec des capitaux formés, effectifs, réels, qui ne veulent pas rester à l’état de fonds de roulement, qui recherchent les placemens fixes. Le plus vulgaire bon sens apprend à tout le monde qu’on ne souscrit pas un emprunt d’état, qu’on ne construit pas un chemin de fer, qu’on n’établit pas une usine, qu’on ne bâtit pas une maison avec des lettres de change. Comment donc veut-on que les titres de propriété des capitaux effectifs ainsi employés à des destinations fixes puissent être représentés surérogatoirement par des billets qui, constituant des promesses de payer à vue, ne peuvent représenter naturellement et logiquement que des capitaux de roulement toujours disponibles ? Mais sur le marché des capitaux il existe une concurrence permanente entre les deux grands besoins qui représentent la demande du capital. Quelque riche qu’on suppose un pays, la masse de ses capitaux disponibles a toujours une limite ; la