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sorte. Cette cour de Louis XVI en effet, quand on la regarde de près, a une physionomie singulière et équivoque. Elle n’a ni les pompes majestueuses de Louis XIV, ni les grandes corruptions de la régence et de Louis XV, Les caractères, les passions et même les vices s’y dépriment dans une confusion de décadence. Les héros sont des grands seigneurs libertins et sceptiques portant avec plus de gaîté que de hauteur une fatuité spirituelle et dépravée, des Tilly, des Ligne, des Lauzun. Le vide moral se fait sous la vanité survivante des prétentions. Il y a des férocités de caillettes dans le commérage, tout cela revêtu d’un dernier vernis de l’ancienne société française.

C’est dans ce monde factice que se trouve jetée Marie-Antoinette avec une nature libre et sincère, avec tous les souvenirs de son existence de jeune fille dans cette cour si simple des princes de Lorraine, à la Burg de Vienne, quand elle jouait avec ses frères et ses sœurs sous l’œil de Marie-Thérèse, quand elle s’inclinait « devant les gronderies de l’empereur, » ou qu’elle « disputait le prix de la course dans les grandes allées à Mgr le coadjuteur. » Elle a gardé toujours de ce temps ces goûts de familiarité et d’intimité dont la vie à Trianon n’est que l’excès, de même que la faveur de Mme de Polignac n’est que l’excès d’un besoin d’affection et de cordialité. Au fond, malgré ces raffinemens d’imagination et de cœur, il n’y a rien de fade en Marie-Antoinette, et c’est elle-même qui dit, lorsqu’on lui présente un tableau où elle figure au milieu de toute sorte de fleurs, qu’on « devrait bien en finir avec toutes ces fadeurs. » Sa sensibilité n’a rien de guindé, rien du sentimentalisme artificiel de l’époque. Sa gaîté est toute franche et comme l’épanouissement d’une ingénieuse et élégante nature. Les divertissemens de cour, ces divertissemens traditionnels, obligés, étiquetés, la laissent plus que froide, témoin le jour où on la fait assister à une curée après la chasse à Compiègne, et où elle écrit à sa sœur : « J’ai assisté à des massacres affreux, dans la cour du château, à la lueur des flambeaux ; on me rirait au nez, si je disais tout haut que ces plaisirs sont d’indignes cruautés. » Dans sa manière d’être, de penser et de sentir, elle a cet accent vivant de la vérité, d’une gracieuse humanité, et de toutes les fantaisies de parure, de toilette, auxquelles elle s’abandonne avec son temps, si on cherchait celle où elle paraît le mieux, c’est cette robe fine et légère de toile blanche, de linon, avec laquelle elle va se promener le matin et qu’elle met en vogue en plein XVIIIe siècle.

Sa joie surtout est d’être elle-même, de se dérober aux contraintes, de s’échapper libre et heureuse, donnant des bals le dimanche au peuple dans les jardins de Trianon et ouvrant familièrement la danse, aimant à se mêler à tout le monde dans les jardins