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de la fortune a trop changé de l’autre côté de l’Atlantique pour que le retour de fautes semblables soit à craindre. La conscience du peuple américain a parlé avec une énergique autorité dans la dernière élection. Le triomphe de la grande république libérale est prochain, et il n’est pas interdit d’espérer que l’année 1865 en verra l’accomplissement. Ce sera une grande victoire morale pour la démocratie libérale de la France, qui, pour ne point douter de la vitalité puissante de la grande république, n’a eu qu’à rester fidèle à ses principes et aux meilleures traditions de notre patriotisme.

Telles sont les principales perspectives sur lesquelles va s’ouvrir l’année 1865. En revenant sur quelques-unes des questions que nous venons d’indiquer, nous aurions omis volontiers la question de la presse, si par une singulière rencontre les journaux n’avaient point occupé récemment, en même temps, quoiqu’à une distance bien grande, deux hauts et puissans ministres étrangers, le premier de Londres et le grand-vizir de Constantinople, lord Palmerston et Fuad-Pacha. Le grand-vizir anglais a profité d’une de ces réunions publiques dont il fait si bien les honneurs pour couronner une série de santés par un toast à la presse anglaise. Nous ne savons si lord Palmerston, qui est par excellence l’homme de l’à-propos, a voulu donner une leçon à M. Boniface ; quoi qu’il en soit, son charmant petit discours, où il était dit en somme que la liberté politique n’existe point dans les lieux où la presse n’est point libre, a eu une piquante bonne fortune. C’est notre Moniteur en personne qui a traduit cette haute leçon, et à la grande joie du public français s’est chargé d’en régaler qui de droit. On ne saurait exiger du premier conseiller du Grand-Turc un tour aussi galant, ni tant de bonheur dans la mise en scène d’une innocente espièglerie. Si nous en croyons des correspondances publiées dans les journaux étrangers, son altesse Fuad-Pacha, homme d’esprit au demeurant, a été saisi de scrupules au sujet de la législation de la presse en Turquie juste vers le temps où M. de Persigny lui-même était touché de la grâce et faisait à M. de Girardin les ouvertures édifiantes que le public a connues. Lui aussi, c’est du pacha que nous parlons, s’est avoué « qu’il ne serait pas disposé à maintenir la législation actuelle sans de sérieuses modifications. » En Turquie, les aménités de la législation consistaient dans l’autorisation qu’il était nécessaire d’obtenir du gouvernement pour fonder un journal, dans les avertissemens et dans la suppression administrative. Fuad avait bien de la bonté de se tourmenter de ce pli de rose, lui qui est Turc et qui, pour se sauver du ridicule, n’avait après tout qu’à se dire : On ne m’accusera point de n’être pas dans la bonne voie du progrès occidental, puisque je traite mes journaux à la dernière mode de Paris ! Bel effet d’une conscience chatouilleuse chez un musulman ! Fuad n’est point un vizir de la veille, il n’est point un soupirant platonique après les douceurs du pouvoir, il a la pleine possession de l’autorité et l’entière faveur de son