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qui fait défaut car la couleur comme le pittoresque sont de pure convention, et cette prétendue poésie, toujours visant au sublime, trop souvent touche à la parodie. Le rideau se lève. Où sommes-nous ? En Provence, nous dit la musique avec le chœur des magnanarettes, une agréable inspiration dialoguée qui par la fraîcheur et le charme rappelle le chœur des Sabéennes dans la Reine de Saba. Dès la première note, on avait trouvé le ton. Pourquoi ne pas s’y être maintenu ? Pourquoi faut-il que dès le second acte cette jolie idylle tourne à l’héroïde, au faux sublime ? Que viennent faire là avec leurs airs d’olympiens détrônés ces bouviers de Camargue, dont la pique ne demande pas mieux que de ressembler au trident de Neptune ? Que nous veulent ces métayers homériques et ces porteurs de besace jouant à l’Agamemnon ? Que nous veut surtout ce dialogue illustré de superbes alexandrins sonnans et trébuchons qu’on dirait extraits des tragédies classiques du vieil Odéon ?

D’un noir pressentiment mon âme est agitée !

Et c’est de la bouche d’une accorte et naïve Provençale que sortent de telles souris rouges ! de la jolie bouche de Mireille, qui chante si bien Magali ! Pauvre blessée ! décidément le soleil l’a rendue folle, et je l’attends au récit de Théramène.

Je le répète, M. Gounod, avec le tact très fin qui le distingue, avait, dès la première mesure de l’introduction, trouvé le style. Quel poétique et charmant tableau musical que ce premier acte, s’il pouvait être donné seul, augmenté du chant de Magali et des couplets de la sorcière, merveille de délicatesse et de distinction dans la contexture ! Le malheur veut que le reste de l’ouvrage, avec ses prétentions à l’épopée, sa monotonie et son décousu, efface cette première impression tout agréable. M. Gounod, comme c’est assez le cas de la plupart des musiciens trop littéraires, se laisse souvent prendre aux miroitemens poétiques d’un sujet. Combien déjà n’a-t-il pas voyagé à travers les pays et les âges, passant, selon la fantaisie et l’engouement du quart d’heure, de Sapho à la nonne sanglante, du roi Salomon au roi d’Ithaque, du médecin Sganarelle au docteur Faust, de Philémon et Baucis à Mireille ? Sans doute on me répondra que Verdi n’a point fait autre chose, Verdi, l’auteur des Lombards et de Nabucco, des Deux Foscari et de Jeanne d’Arc, de Rigoletto et de la Traviata ; mais Verdi est un Italien, un maître composant dans un système absolument étranger aux principes du drame musical, tel que l’entendait Gluck, et tel que s’efforcent de le restaurer tant en Allemagne qu’en France des esprits plus ou moins aventureux dont M. Gounod à bon droit ne renie pas toutes les idées. Pour Verdi, musicien de race et de tempérament, il ne s’agit que d’un seul et unique intérêt, écrire des cavatines et des morceaux d’ensemble qui produisent sur le public d’une salle de spectacle le plus grand effet possible. À ses yeux, le meilleur poème est donc