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accomplis, vous remaniez l’ouvrage et le proposez ainsi revu et corrigé à une appréciation nouvelle. Il s’agit donc ou d’une de ces intimations qui presque toujours déplaisent, ou d’une simple mesure de déférence à l’égard d’un jugement rendu auquel un auteur et une administration théâtrale se soumettent en l’interprétant chacun en ce qui le concerne ; mais cette mesure même, si légitime qu’elle soit, peut-elle beaucoup pour le succès ? Tel ouvrage tombé en cinq actes va-t-il se relever parce qu’on l’aura réduit à trois et parce qu’on aura changé en dénoûment heureux le dénoûment malheureux de la première conception ? De pareilles modifications, outre qu’elles nuisent aux proportions de l’œuvre musicale, rendent impossible tout intérêt dramatique. Une pièce déjà mauvaise perd à ce jeu sa raison d’être. Vous assistez à des tableaux sans suite, à des scènes que rien ne motive. Mireille ne meurt plus, j’en suis fort aise ; le soleil, au lieu de la tuer de sa flèche d’or, se contente de la blesser. Je ne demanderais pas mieux que de m’en réjouir et de m’écrier avec M. Michelet dans la Femme : Pauvre blessée ! Mais encore faudrait-il dans tout cela un certain art et qu’on n’essayât point d’acclimater sur nos scènes françaises un système de raccords et de combinaisons élémentaires auquel les librettistes italiens ont eux-mêmes renoncé. L’ennui, dans cet opéra de Mireille, est partout. On a eu beau supprimer ici un acte, là un tableau, trancher au vif dans le dialogue, dans la musique, ne laisser à tel rôle qu’une chanson : l’ouvrage, même réduit à cet état fragmentaire, languit encore, languit toujours. Et j’estime que, s’il était possible de le traiter par l’appareil de Marsh, on trouverait des globules d’ennui jusque dans ses moindres parties comme on trouve de l’arsenic à doses infinitésimales dans la phalange du petit orteil d’un homme empoisonné.

Quel singulier cadre aussi que celui-là pour un musicien ! Je persiste à le croire, M. Gounod aura vu dans la mise au théâtre de cette espèce d’égiogue légendaire une occasion de donner cours à certaines velléités systématiques inspirées peut-être par l’étude approfondie des compositions de Richard Wagner. Ses souvenirs et ses préoccupations nouvelles l’égarant, il aura cherché du côté de la Crau un sujet capable de lui fournir cet élément naïf et mystique qui en Allemagne a tant contribué au succès de la partition la plus populaire du musicien de l’avenir ; mais ne nous y trompons pas, le Tannhäuser est un bien autre poème que Mireille. Il y a dans l’aventure de ce chevalier chrétien enguirlandé par la Vénus antique, dans ses amours et ses remords, un côté romanesque, héroïque, fait pour intéresser quiconque aime la musique à grand spectacle. Ici d’ailleurs la légende est de première main, les siècles nous l’ont transmise avec l’autorité qui leur est propre ; nous savons à quels personnages nous avons affaire, et quelle langue ils parlent. Cette invention de Mireille au contraire n’a pour elle que l’attrait qui s’attache à un libretto plus ou moins réussi. Ni la couleur ni le pittoresque ne sauraient remplacer ici le drame absent, la passion