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de fer seules absorbèrent annuellement, de 1852 à 1854, 250 millions, puis en 1855 500 millions, et en 1856 520 millions de francs. Lorsque l’administration décida, par mesure de prudence, en 1856, que momentanément on n’accorderait plus de concessions, l’achèvement des voies déjà concédées exigeait encore une mise dehors de 1,260 millions. Les emprunts de l’état, souscrits avec un si furieux entrain, et ceux des villes absorbèrent encore, de 1854 à 1856, environ 1 milliard 1/2. Nous n’insisterons pas sur la physionomie de ces années, encore assez peu éloignées de nous pour qu’on n’en ait pas perdu le souvenir. C’était le temps heureux de la hausse générale et des bénéfices assurés. Les autres marchés du monde présentaient un spectacle à peu près pareil. L’Allemagne, elle aussi, jusque-là prudente et sage, se lança dans le tourbillon. Les primes merveilleuses touchées par les fondateurs et les premiers actionnaires du crédit mobilier français avaient monté toutes les têtes au-delà du Rhin. Chaque ville voulut avoir sa banque ou son crédit mobilier. De 1854 à 1857, on en fonda pour un capital d’environ 800 millions de francs. Partout on s’arrachait, on se disputait les titres des institutions nouvelles. À Francfort, on avait réservé le droit de souscrire à ceux qui étaient bourgeois de la ville. Tous souscrivirent, et on payait chèrement les portefaix bourgeois qui, grâce à un coup d’épaule, pouvaient arriver avant les autres au guichet. À Vienne, la foule des souscripteurs passa toute la nuit devant les bureaux, et quand approcha l’heure de l’ouverture des portes, plus d’un faillit périr étouffé dans la presse. Même fièvre vertigineuse dans toutes les villes, grandes et petites, à Cobourg, à Leipzig, à Dessau, à Géra, à Buckebourg, à Hanovre, à Meiningen. On s’occupait peu du mérite réel de l’institution qui se fondait ; le but unique était de toucher des primes qui paraissaient infaillibles. On s’inscrivait pour dix, pour cent fois autant d’actions qu’il y en avait de disponibles, afin que cette apparence d’empressement du public fît aussitôt monter la valeur. Les souscriptions pour la banque de Hanovre montèrent à la somme fabuleuse de 1,100 millions de thalers, soit plus de 4 milliards de francs. Une institution de crédit fondée à Hambourg vit son capital souscrit au centuple, et pourtant elle semblait si peu sérieuse qu’elle ne put trouver de directeur. D’autre part la construction des chemins de fer, opération sérieuse celle-là, en trois ans absorba plus d’un milliard de francs.

De l’autre côté de l’Atlantique, les États-Unis avaient présenté bien plus que l’Europe le spectacle d’un essor inouï de la production et de la spéculation. Chez ce peuple riche des ressources illimitées d’un sol vierge, plus riche encore de l’activité dévorante et