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fortunes, monnayées par le crédit, étaient venues se faire concurrence sur le marché, ce qui avait amené cette hausse extraordinaire de toutes les valeurs et de toutes les marchandises. La hausse se soutint aussi longtemps que l’argent fut abondant, et que par suite la confiance générale se maintint : elle atteignit son apogée dans les premiers mois de 1825 ; mais déjà le numéraire commençait à s’écouler. Les emprunts et les compagnies minières de l’Amérique emportèrent à l’étranger des quantités énormes d’or et d’argent. Les exportations anglaises ne suffisaient pas à couvrir les importations extraordinaires faites par la spéculation. Le change devint défavorable : il fallut sans cesse, pour couvrir la différence, faire des remises en métaux précieux, et à partir du mois de mars la réserve de la Banque diminua rapidement. Au 31 août 1824, elle était de 11,700,000 liv. sterl. ; au mois d’avril, elle n’est plus que de 6 millions et demi ; en juillet, elle tombe à 4 millions, en octobre à 3 ; en décembre, il ne restait plus qu’un million. On était à la veille de la suspension des paiemens en espèces. La Banque n’en était pas encore arrivée alors à suivre la marche qu’elle adopte maintenant en pareilles circonstances, et qui consiste à retenir l’or par la contraction de l’escompte ainsi que par la hausse du taux de l’intérêt. Elle n’éleva ce taux de 4 à 5 que le 17 décembre, quand la crise sévissait déjà dans toute son intensité. Loin de restreindre l’escompte et la circulation fiduciaire, elle l’étendit au contraire pour venir en aide au commerce, et afin que ses billets prissent, comme moyens d’échange, la place du métal disparu ; elle ne considérait pas que c’était aider à le chasser encore plus vite ou tout au moins à l’empêcher de revenir. Elle s’avançait ainsi dans une impasse au bout de laquelle il n’y avait qu’un moyen de salut, la suspension des paiemens en numéraire et le cours forcé. Du commencement à la fin de décembre, elle double ses escomptes en portant l’émission de ses notes de 17 à 26 millions. Elle lança dans la circulation tous ses billets et jusqu’à un vieux paquet de banknotes d’une livre oublié dans une armoire. D’autre part, la caisse était presque à sec ; lord Ashburton prétendit même qu’à un certain jour de ce terrible mois de décembre il n’y restait plus rien. La Banque ne fut sauvée que par des expédiens. Le 27 décembre, elle reçut de la maison Rothschild 300,000 livres en or, et bientôt il lui arriva de Hollande et de France des envois de métaux précieux qui reconstituèrent sa réserve.

Quoique la Banque n’eût ni contracté l’escompte ni élevé le taux de l’intérêt, la crise n’en avait pas moins éclaté, occasionnant partout de terribles désastres. À mesure que l’argent devenait plus rare, le crédit se restreignait. Tous ceux qui avaient pris des engagemens à terme, soit pour des marchandises, soit pour des valeurs