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un entraînement de plus auquel bien peu résistèrent. « On vit alors, dit l’Annual Register de 1824, des hommes de tout rang et de tout caractère, les prudens et les audacieux, les novices et les roués, les gens les plus simples comme les plus habiles, les plus méfians comme les plus confians, des ducs, des lords, des avocats, des médecins, des théologiens, des philosophes, des poètes, des ouvriers et de petits employés, des femmes, des veuves, des jeunes filles, exposer une partie de leur avoir en des entreprises dont ils connaissaient à peine le nom, et dont ils ignoraient certainement le but. »

L’argent facilement acquis se dépense facilement aussi, dit-on. Tant de fortunes si rapidement accrues, tant de bénéfices, sans perte aucune, répartis entre tant de mains, amenèrent un accroissement correspondant dans la demande de toutes les marchandises, et comme l’offre ne pouvait immédiatement y faire face, le prix de toutes choses s’éleva. Le coton monta de 8 pence la livre en 1824 à 17 pence en 1825. Le tabac, le sucre, le café, les épices, la soie, se vendirent de 30 à 100 pour 100 plus cher d’une année à l’autre. Il en résulta des bénéfices énormes pour tous les détenteurs, et la fièvre de la spéculation se tourna bientôt aussi de ce côté. Les négocians ne se contentèrent pas de spéculer sur les produits existans dans le pays ; déterminés par les hauts prix, ils envoyèrent des ordres considérables à l’étranger. Par suite, en 1825, les importations des principales marchandises furent à peu près doublées. Elles s’élevèrent, pour le coton, de 149 millions de livres en 1824 à 228 millions en 1825, pour la laine de 22 millions à 43, pour le lin de 742,000 livres à 1,055,233.

L’Angleterre offrit alors un prodigieux spectacle. Cette petite île, à peine sortie d’une longue guerre, où elle avait dépensé plus de 45 milliards, malgré sa dette de 23 milliards, malgré les impôts énormes qui semblaient devoir l’accabler, se croyait assez riche pour contracter en moins de deux ans jusqu’à 4 milliards d’engagemens. Relativement à un si gigantesque mouvement d’affaires, il semble que l’instrument des échanges, numéraire et billets, devait être très insuffisant. La Banque n’avait pas augmenté sa circulation fiduciaire ; le montant de ses notes n’avait guère dépassé la moyenne, ordinaire alors, de 20 millions de livres. Les banques provinciales, jouissant depuis 1822 de l’autorisation d’émettre des billets au-dessous de 5 livres, avaient, il est vrai, porté leurs émissions de 4 millions à 11 millions. Ce papier, lancé dans la circulation, put contribuer à la hausse des prix ; il ne détermina pas cependant la crise, comme on l’a prétendu, car la plupart des opérations se faisaient à terme et à crédit, et n’entraînaient pas de paiemens immédiats. Les spéculateurs achetaient au moyen de la puissance d’acquisition que représentait leur avoir tout entier ; c’était donc comme si toutes les