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l’impôt et l’emprunt, qu’on estime à 45 milliards de francs. Ce n’est point non plus le billet de banque à cours forcé qui produisit la crise de 1810 ; elle fut amenée par certaines causes que nous retrouverons dans toutes celles qui suivirent.

L’affranchissement des colonies espagnoles et portugaises à la suite de l’invasion de l’Espagne par les armées françaises semblait devoir ouvrir un marché illimité au commerce anglais. Celui-ci aussitôt inonda l’Amérique du Sud de produits de tout genre avec un empressement désordonné qui a fait époque dans les annales des exportations britanniques. En quelques semaines, on importa plus de marchandises à Rio-Janeiro et à Buenos-Ayres qu’on n’en avait demandé dans l’espace de vingt ans. On alla jusqu’à envoyer une cargaison de patins à des pays qui ignoraient ce que c’est que la neige et la glace, et la colonie de Sydney reçut assez de sel d’Epsom pour faire purger tous les habitans pendant cinquante ans une fois par semaine. En même temps que le commerce se livrait à ces spéculations peu réfléchies, un grand nombre de sociétés par actions se fondaient. — Une liste insérée dans le Monthly Magazine du 12 janvier 1808 en indique quarante-deux, — chiffre considérable pour l’époque, — et de 1808 à 1810 le nombre des country-banks s’éleva de six cents à sept cent vingt. Tandis que d’un côté ce développement rapide du commerce et de l’industrie absorbait les capitaux, de l’autre les subventions aux puissances continentales et les importations extraordinaires de blé, de coton, de laine, de soie, etc.[1], qu’il fallait payer aussitôt, enlevèrent l’or qui restait dans la circulation, et ainsi l’intermédiaire des échanges devenait plus rare au moment même où on en avait le plus grand besoin. La réserve métallique de la Banque tomba de 6 millions de livres sterling à 3 millions ; mais comme elle n’était pas tenue au remboursement, elle porta sa circulation en billets de 17 à 24 millions. Néanmoins le crédit se contracta, la défiance entrava le cours régulier des affaires, et les banqueroutes éclatèrent. Les négocians qui avaient fait des expéditions mal entendues vers l’Amérique furent les premiers frappés. Bientôt un grand nombre de maisons très solides furent entraînées. Un journal financier de l’époque assure que la moitié des commerçans suspendirent leurs paiemens, et beaucoup de country-banks en firent autant. Le 11 avril 1811, le parlement décida qu’on ferait une avance de 6 millions sterling,

  1. Les importations de céréales et les subventions aux puissances du continent absorbèrent seules en 1810 plus d’un demi-milliard de francs. Le froment avait atteint le prix de famine de 118 shillings le quarter. Les importations comparées de 1808 et de 1810 s’élevèrent pour le coton de 43 millions de livres à 130 millions, pour la laine de 2 à 10 millions, pour la soie de 637,102 à 1,342,475.