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prudent, dûment averti, cargue ses voiles, reste au port, s’affermit sur ses ancres, et échappe ainsi au naufrage. Il serait désirable que la science économique pût rendre le même service à tous ceux qui s’occupent de la production ou de l’échange. Si elle parvenait à déterminer aussi les signes précurseurs des tourmentes financières, ceux qui sont engagés dans des transactions commerciales ou industrielles prendraient leurs précautions, et éviteraient souvent bien des pertes, bien des désastres.

Sans négliger les faits que nous offrent la France, les États-Unis et l’Allemagne » nous étudierons les crises monétaires principalement en Angleterre, parce que c’est là qu’elles se manifestent avec le plus d’intensité et de régularité. Grâce aux documens officiels, aux enquêtes parlementaire et aux recherches des hommes spéciaux, c’est là encore qu’on peut le mieux en saisir les caractères distinctifs. Nous tracerons d’abord l’historique des crises principales ; nous essaierons plus tard de découvrir la loi qui préside à la naissance et au développement du phénomène, en cherchant à tirer de cette étude les enseignemens qu’elle peut offrir pour la pratique aussi bien que pour la théorie.


I

Quand on aborde l’examen des crises commerciales en Angleterre, il est un fait qui frappe aussitôt, c’est le retour régulier et presque périodique de ces désastreuses perturbations. Les crises sérieuses ont éclaté en 1810,1815,1818, 1825, 1837, 1847,1857, revenant ainsi au moins une fois tous les dix ans. Nous ne dirons que quelques mots des trois premières crises, celles de 1810, 1815 et 1818, parce qu’elles se produisirent sous l’empire de circonstances très particulières, et notamment sous le régime d’un papier-monnaie à cours forcé. Nous y reconnaîtrons néanmoins sans peine les caractères essentiels du phénomène que nous avons à étudier. Dès le début de cette lutte gigantesque que l’Angleterre soutint pendant vingt-deux ans contre la France, en 1797 déjà, le parlement avait autorisé la Banque à suspendre le remboursement de ses billets. Comme cet établissement eut la sagesse de limiter ses émissions, — jusqu’en 1810 elles flottèrent entre 15 et 17 millions de livres sterling, — la valeur de ses banknotes se soutint et se releva souvent au niveau de l’or après une dépréciation momentanée. On ne peut point dire que cette circulation toute fiduciaire ait arrêté les progrès de la richesse publique, car celle-ci prit un si prodigieux essor, grâce à l’emploi de la vapeur et des machines nouvelles, que l’Angleterre put faire face à des dépenses de guerre, couvertes par