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cordiale, généreuse, mais d’une éducation un peu négligée, ayant plus d’instinct que de connaissance des choses, aussi vive dans ses entraînemens que prompte à se décourager, passant en un instant d’une insouciance gracieuse à une vague inquiétude de son ignorance, de ses faiblesses et des inimitiés déjà naissantes autour d’elle.

Le règne de Louis XVI cependant s’ouvre comme une ère où circule tout à coup un souffle d’honneur et de probité. Il y a un beau mot qui n’existe plus, ou qui n’a plus du moins sa vieille et forte saveur dans la politique, et qui exprime merveilleusement ce qu’il y avait dans l’âme de ce jeune roi : c’est le bien public. Louis XVI a visiblement le goût du bien public, et c’est même, je crois, sa seule passion. Il n’était peut-être pas un profond politique en rappelant simplement et sans restriction les anciens parlemens brisés par Maupeou ; mais il avait l’horreur instinctive des violences et de la corruption du chancelier, l’homme qu’un de ses contemporains a représenté avec « une figure de Juif, un teint olivâtre, des manières de Pantalon, un regard faux et perfide. » Il était ingénument, sérieusement honnête et humain dans toutes les mesures par lesquelles il signalait les premières années de son règne : la remise du droit de joyeux avènement et de ce qu’on appelait le droit de ceinture de la reine, l’appel momentané de Turgot au poste de contrôleur-général, l’extinction d’une partie de la dette par une sévère économie appliquée d’abord aux dépenses de la maison royale, la suppression de la corvée, l’affranchissement des serfs dans les domaines de la couronne, l’abolition de la question préparatoire dans les affaires de justice. Et quand il rencontrait des obstacles, quand les mesures qu’il méditait avec Turgot ou qu’il recevait du grand et profond réformateur soulevaient des cris d’opposition jusque dans le conseil, il écrivait au fidèle ministre avec une sincérité touchante : « Plus j’y pense, mon cher Turgot, et plus je me répète qu’il n’y a que vous et moi qui aimions le peuple… » Malheureusement ce qu’il y avait chez Louis XVI, c’était moins un système réfléchi et coordonné qu’un instinct d’honnêteté cherchant le bien avec une volonté défaillante, et Marie-Antoinette le montre au plus vrai, en se montrant elle-même à côté, dans ces premiers temps où il s’essaie au pouvoir. « Je ne sais pas s’il est possible d’être meilleur que lui et d’avoir en tout une conscience plus sévère, écrit-elle à son frère Joseph. Il n’a pas d’autre pensée, j’en suis sûre, que de faire du bien ; mais par quels moyens ? Je ne sais ce qui lui roule dans l’esprit, il ne s’en ouvre pas tout à fait, et il est très agité. Je ne veux pas dire qu’il me traite en dessous et en enfant et qu’il ait de la défiance pour moi ; au contraire il lui échappait l’autre jour un long discours devant moi, et comme s’il parlait