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est resté tout à fait étranger aux affaires, le roi ne lui en parlant jamais. » Celui qui va être Louis XVI dit qu’il est comme « un homme tombé d’un clocher. » La nouvelle reine a « des momens de frisson ; » elle a « comme peur, » et dans sa première effusion elle écrit à sa mère avec la sincérité d’une émotion naïve : « Que Dieu veille sur nous !… Mon Dieu ! qu’allons-nous devenir ?… M. le dauphin et moi, nous sommes épouvantés de régner si jeunes ! » Il semble qu’à mesure qu’elle avance, à chaque pas, à chaque circonstance décisive, à son avènement au trône comme à son arrivée en France, elle entend une voix secrète ; elle a comme peur, elle sent se débattre en elle une lutte étrange entre la vivacité charmante d’un naturel qui veut se répandre, qui a besoin de bonheur, d’air, de lumière, et l’instinct d’une destinée contraire qui marche à sa suite.

C’était en effet un moment d’une gravité singulière, unique peut-être, pour cette royauté nouvelle qui se levait, ayant derrière elle un passé séculaire, mais un passé gaspillé, ruiné, et devant elle à peine quinze ans, une révolution vaguement menaçante, préparée par le double phénomène de la fermentation de l’esprit humain et de la décadence morale, politique, administrative, de l’absolutisme monarchique. De toutes les questions qui ont surgi au courant des choses, la plus singulière, la plus oiseuse peut-être, mais qui dénote assurément le plus de candeur et d’honnêteté, est cette question qui s’est élevée plus d’une fois : quand et comment aurait-on pu arrêter et fixer cette révolution que Louis XVI portait dans sa destinée le jour où il montait au trône ? Relever la politique de la France au dehors et à l’intérieur, épurer la royauté des corruptions qui l’avaient déshonorée, réformer le mécanisme confus d’institutions vieillies, mettre fin à la guerre des parlemens et du pouvoir royal par un système nouveau de garanties publiques, refaire les finances par l’intégrité et l’économie, réveiller l’activité nationale amortie dans la servilité ou dans la misère, soulager le peuple des exactions qui le ruinaient et du poids des inégalités qui le froissaient, c’était là l’œuvre à réaliser. Cette œuvre, il fallait l’accomplir au milieu d’une cour puissante encore par les traditions et par l’habitude, fourmillant d’intrigues et de rivalités ambitieuses, âpre à disputer les faveurs, à défendre ses privilèges, vivant d’abus, de gaspillage. Et pour se mettre à la tête de ce mouvement, le seul qui pût détourner une révolution, pour le conduire à travers le déchaînement des vanités et des intérêts, qui avait-on ? Un roi à peine sorti des mains d’un gouverneur étroit, d’une jeunesse sans expérience et sans grâce, bon, appliqué, sensé, sévère pour lui-même, mais d’une nature gauche, embarrassée, timide, un peu épaisse et un peu vulgaire, ayant en tout le goût du bien sans en avoir la puissance ; une reine encore plus jeune que le roi, brillante et aimable,