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sortir son pied de neige ; la chemise froncée encadre la molle rondeur de la gorge ; ses yeux noyés regardent vaguement les enfans qui jouent dans l’air ; aux bras, au cou, aux oreilles, chatoient des perles blanches.

Le Forum est à deux pas ; on y descend et on s’y repose. Le ciel était d’une pureté parfaite ; les lignes nettes des murs, les vieilles arcades en ruine, posées les unes sur les autres, se détachaient sur l’azur comme si elles eussent été marquées avec le plus fin crayon ; on prenait plaisir à les suivre, à revenir, à les suivre encore. La forme dans cet air limpide a sa beauté par elle-même, indépendamment de l’expression et de la couleur, comme un cercle, un ovale, une courbe réussie sur un fond clair. Peu à peu l’azur est devenu presque vert ; ce vert imperceptible est semblable à celui des pierres précieuses et des eaux de source, mais plus fin encore. Il n’y avait dans cette longue avenue rien que de curieux ou de beau : des arcs de triomphe à demi enterrés, posés en travers les uns des autres, des restes de colonnes dressées près d’autres colonnes tombées, des fûts énormes, des chapiteaux sur le bord de la route ; sur la gauche, les voûtes colossales de la basilique de Constantin parsemées de plantes vertes pendantes ; de l’autre côté, les ruines des palais des césars, vaste entassement de briques roussies que des arbres couronnent, Saint-Côme avec un portail de colonnes dégradées, Santa-Francesca avec son élégant campanile ; au haut de l’horizon, une rangée noirâtre de fins cyprès ; plus loin encore, pareilles à un môle en débris, les arcades croulantes du temple de Vénus, et à l’extrémité, pour fermer la voie, le gigantesque Colisée doré d’une lumière riante.

Sur toutes ces grandes choses, la vie moderne s’est nichée comme un champignon sur un chêne mort. Des balustrades de perches à demi dégrossies comme celles d’une fête de village entourent la fosse d’où s’élèvent les colonnes déterrées de Jupiter Stator. L’herbe pousse sur les pentes éboulées. Des polissons déguenillés jouent au palet avec des pierres. De vieilles femmes avec des enfans crasseux se chauffent au soleil parmi les ordures. Des moines blancs ou bruns passent, puis des écoliers en chapeau noir conduits par un ecclésiastique rogue. Une fabrique de lits en fer tinte et résonne auprès de la basilique. Vous lisez à l’entrée du Colisée une oraison à la Vierge qui procure cent jours d’indulgence ; cette oraison la traite comme une déesse indépendante. Cependant vous découvrez encore de grands traits de l’ancienne race et de l’ancien génie. Plusieurs de ces vieilles femmes ressemblent aux sibylles de la renaissance. Tel paysan en guêtres de cuir, avec son manteau taché de terre, a la plus admirable figure, le nez busqué, le menton grec, des yeux noirs qui parlent, tout pétillans et luisans de génie naturel.