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bronze doré, magnifique lutteur, tout l’intérêt de l’attitude est dans le petit rejet du corps en arrière ; cela donne une autre position au ventre et aux pectoraux. Pour comprendre cela, il ne nous reste que les écoles de natation de la Seine. Et qui n’est désagréablement choqué dans nos grenouillères de corps déshabillés qui barbotent ?

Un grand sarcophage représente l’histoire d’Achille, et là encore il faut remarquer qu’il n’y a aucun intérêt dramatique, mais seulement cinq ou six jeunes hommes nus, deux femmes vêtues au centre, et deux vieillards aux coins. Chaque corps, étant beau et vivant, est assez intéressant par soi ; l’action est secondaire, le groupe n’est pas là pour la représenter, l’action n’est là que pour lier le groupe. On passe d’une belle jeune femme vêtue à un beau jeune homme nu, puis à un beau vieillard assis : voilà toute l’intention de l’artiste. On a eu du plaisir à voir un corps penché, puis un bras levé, puis un tronc fermement assis sur les deux cuisses.

Il est certain que cela est à une distance immense de nos habitudes. Si nous sommes préparés aujourd’hui pour un art, ce n’est pas pour la statuaire, ni même pour la grande peinture, mais tout au plus pour la peinture de paysage ou de mœurs, et bien plus encore pour le roman, la poésie et la musique.

Puisque j’ose parler sans marchander et dire les choses comme je les sens, mon avis décidé est que le plus grand changement de l’histoire, est l’avènement du pantalon : tous les barbares du Nord le portent déjà dans les statues ; il marque le passage de la civilisation grecque et romaine à la moderne. — Ceci n’est point une boutade ni un paradoxe ; rien de plus difficile à changer qu’une habitude universelle et journalière. Pour déshabiller et rhabiller l’homme, il faut le démolir et le refondre. Le trait propre de la renaissance, c’est l’abandon de la grande épée à deux mains et de l’armure complète ; le pourpoint à crevés, la toque, la culotte collante, montrent alors le passage de la vie féodale à la vie de cour. Il a fallu la révolution française pour nous faire quitter l’épée et la culotte à mollets ; c’est que le plébéien, homme d’affaires et crotté, avec ses bottes, son pantalon, sa redingote, remplace alors le courtisan à talons rouges, le beau parleur brodé d’antichambre. — De même le nu est une invention propre des Grecs. Les Lacédémoniens l’ont trouvé en même temps que leur régime et leur tactique ; les autres Grecs l’ont adopté vers la quatorzième olympiade. Ils ont dû aux exercices qu’il comporte leur supériorité militaire. À Platée, dit Hérodote, si les braves Mèdes ont été vaincus, c’est qu’ils étaient embarrassés dans leurs longues robes. Chaque Grec pris à part se trouvait ainsi plus agile, plus adroit de ses membres, plus robuste, mieux préparé pour l’ancien genre de combat, qui s’engageait