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peu pâle, est aussi fine qu’une figure de Vinci. La chemise se chiffonne autour du cou au-dessus du corset, et semble faite exprès pour la peinture ; la jupe tombe en tuyaux naturellement, parce que le corps se tient droit.

À mesure que le soir approche, les montagnes étagées à l’orient deviennent plus belles. Elles ne sont point trop proches ni trop grandes, accablantes comme les Pyrénées, tristes comme les Cévennes. Entre elles s’étend une large campagne fertile, elles sont toutes décoratives et servent de second plan au tableau. Leur noblesse est parfaite et aussi leur douceur. Insensiblement elles prennent les teintes de la violette, du lilas, de la mauve. Plusieurs semblent une jupe de moire avec ses cassures ; les fortes arêtes, les saillies nues ne sont à cette distance que des plis lustrés. Les villes et les bourgs sur les hauteurs forment des groupes blancs, et l’azur du ciel est si pur, si fort, et cependant si suave, que je ne me souviens pas d’avoir vu une plus belle couleur.

Le Mont-Cassin.

Je connaissais un des supérieurs du Mont-Cassin ; j’y suis monté en passant. Tu as lu ce nom, c’est celui de la principale et de la plus ancienne abbaye des bénédictins. Elle est du VIe siècle, fondée sur l’emplacement d’un temple d’Apollon ; mais les tremblemens de terre l’ont plusieurs fois détruite, et aujourd’hui l’édifice est du XVIIe. De ce centre, la vie monastique s’est propagée à travers l’Europe barbare dans les temps les plus noirs du moyen âge. Ce qui restait de la civilisation antique reposait ainsi dans des coins écartés, sous la croûte monacale, comme une chrysalide dans sa gaine. Les moines copiaient des manuscrits au bourdonnement des litanies ; cependant les sauvages du Nord passaient et repassaient dans les vallées, apercevant sur la cime rocheuse les fortes murailles qui protégeaient le dernier asile. Maintes fois ils les ont forcées ; plus tard, convertis, ils baissaient la tête avec une horreur superstitieuse, et venaient toucher les reliques. Un roi dont l’histoire est peinte sur la muraille a laissé ici sa couronne pour prendre la robe de moine.

Pour monter au couvent, on part de San-Germano ; c’est une petite ville sur un pan de montagne, pauvre et laide, où desquelles caillouteuses, grimpantes, s’échelonnent avec des enfans en guenilles et des porcs errans. Les portes des maisons sont ouvertes ; le porche noir tranche sur la blancheur crue des murailles, et les ustensiles de ménage, vaguement entrevus à travers l’ombre mouvante, poudroient dans la profondeur, pailletés de clartés qui tremblent. Sur la droite, au-dessus d’un entassement extraordinaire de blocs roussis, la montagne disloquée porte un débris de château féodal. Sur la gauche, pendant une heure et demie, une route en