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de larmes, livrent en propriété au peuple romain leurs corps et leurs biens, « la ville de Capoue, le peuple campanien, les champs, les temples des dieux, toutes les choses divines et humaines. » Quel zèle pour l’état, quelles préoccupations politiques chez le moindre artisan, quelle confusion forcée des intérêts privés et des intérêts publics, quand du haut des murs chacun voyait approcher des bandes de pâtres pillards semblables aux brigands d’aujourd’hui, quand toutes les semaines, dans le temple principal, les citoyens délibéraient sur les moyens de n’être pas pillés, tués ou vendus ? Nous ne comprendrons jamais la passion d’un ancien pour sa ville.

Ces montagnes sont presque nues, âpres, hérissées de petits rocs qui semblent les ruines d’un écroulement, comme si les cimes et les versans avaient frissonné pendant un tremblement de terre, et que leur écorce fendillée se fût dispersée en lambeaux. La raide arête tranche comme une lame au milieu de l’air. Point d’arbres, quelques buissons maladifs ou tenaces, des mousses, parfois rien. La montagne allonge son triangle ébréché comme un amas de scories ; d’autres debout, crevassées comme par la fureur d’un incendie, se dressent, pareilles à une momie pleine de cendres, au milieu de leurs compagnes fauves, Les plus hautes, à l’horizon, ont un panache de neige. De là sortaient les Samnites, les aventuriers des « printemps sacrés, » en peaux de bique, les pieds entortillés de cordes, avec la barbe, avec les yeux noirs et fixes des pâtres que voici devant nous. Il faudrait avoir vécu en Californie ou en Nouvelle-Zélande pour se représenter aujourd’hui la situation d’une cité antique.

Le ciel est aussi beau qu’en juin, chaud et splendide. Les montagnes, des deux côtés, sont d’un bleu simple et grave (cœruleus), et s’ordonnent les unes, derrière les autres en amphithéâtre, comme pour le plaisir des yeux. L’air, épaissi par la distance, pose un superbe vêtement éclatant et diaphane sur ces grands corps, et au-dessus d’eux des nuages paisibles étagent leurs volutes de neige.

Il a plu violemment la veille, et des travailleurs de toute espèce déblaient la route, défoncée par les torrens. Pour la première fois, voici des femmes vraiment belles : elles sont en guenilles, et on ne les toucherait pas avec des gants ; mais à dix pas elles ressemblent à des statues. À force de porter l’eau, le mortier, tous les fardeaux sur leur tête, elles ont pris l’attitude droite, la démarche noble d’une canéphore. Un épais linge blanc leur couvre la tête et, retombant des deux côtés, les protège contre le soleil. Dans cette blancheur, la chaude couleur de la peau, les yeux noirs, sont d’un éclat admirable. Plusieurs ont des traits réguliers ; une d’elles, un