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serais à mon aise avec eux. » Tout était fêtes, plaisirs, illuminations, bals, concerts, profusion de fleurs « à paver les cours de la Burg » de Vienne, et c’est Marie-Antoinette elle-même qui se peint dans ce premier moment de trouble et d’effusion, qui se montre voyageant au milieu des démonstrations populaires, se tirant d’affaire en dauphine un peu novice, mais de façon à émerveiller tout le monde, ne manquant pas à Nancy de visiter les tombeaux de la famille de Lorraine, gagnant tout d’abord les bonnes grâces du roi, qui vient de Compiègne au-devant d’elle, arrivant au château de la Muette, sa dernière étape sur le chemin de Versailles, — puis enfin, le jour du mariage, se dérobant en grande toilette pour écrire à sa mère d’un cœur gonflé et ingénu : « Je suis dauphine de France ! »

Cette petite dauphine d’ailleurs entre dans son rôle avec un instinct droit et fin, avec le goût de réussir et de plaire, et sans embarras. Ce qu’elle ne sait pas, elle le devine ou elle l’apprend bien vite. Elle écoute M. de Choiseul, qui lui suggère « tout doucement, » après les premières présentations, d’aller voir la fille du roi, Mme Louise, qui est aux Carmélites, et le roi ravi l’embrasse pour cette aimable attention. Elle se tient sans affectation, mais avec une réserve aisée, devant celle qu’elle appelle la faiblesse, Mme Du Barry, qu’elle ne peut pas éviter, et qui prend avec elle un ton demi-respectueux, demi-embarrassé, demi-protecteur, et aux curiosités indiscrètes qui l’interrogent sur ses impressions, qui lui demandent comment elle trouve Mme Du Barry, elle répond simplement « charmante ! » Ainsi elle s’avance émue d’abord, troublée de ce changement de patrie qu’elle appelle un exil, puis bientôt gagnée à ce mouvement qui l’entoure et séduite elle-même, timide et enjouée, familière avec dignité, vive et gracieuse avec naturel, éclairant ce monde si nouveau pour elle du rayonnement de sa jeunesse et de sa beauté naissante. Elle a la beauté de son âge, une taille frêle encore, des cheveux d’un blond cendré, des yeux d’un bleu tendre pleins de vie, un front intelligent et élevé, le nez aquilin et fin, la bouche petite avec la lèvre inférieure de sa race, un visage où est le type autrichien. Le roi est charmé, et tout le monde est charmé avec lui. Quant à M. le dauphin lui-même, il est « fort poli, » mais timide, peu démonstratif, embarrassé de sa jeunesse — et encore plus de celle de sa femme.

Ce monde du dauphin et des jeunes princes ses frères se détache dans le déclin fastueusement frivole d’un règne corrompu. Il se grossit bientôt de deux autres princesses venues de Savoie pour épouser le comte de Provence et le comte d’Artois. L’une, la comtesse de Provence, peu goûtée du dauphin parce qu’elle a des moustaches, « a de bien beaux yeux, mais avec des sourcils très épais et un front bas chargé d’une forêt de cheveux qui lui donnent un