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son propre compte, avec l’assentiment de tous les rois, princes, grands-ducs et petits landgraves du Bund, et avec tous les souvenirs merveilleux du saint empire romain ! L’Autriche croyait donc sa rivale séculaire assez annulée déjà par le régime « cavalier » (junker) de M. de Bismark, elle se croyait elle-même assez relevée dans l’opinion des peuples de la Germanie par le parlement de M. de Schmerling et sa conduite « libérale » dans la question polonaise, pour tenter un essai qui, il y a quelques mois à peine, aurait paru impossible !… Et en effet le 14 août l’empereur François-Joseph entrait dans la ville libre de Francfort au son des cloches et aux applaudissemens du peuple. L’enthousiasme fut vif et sincère, car on parlait de la grandeur de l’Allemagne, de sa force et de son prestige futur devant l’étranger. Le réformateur impérial avait son projet tout prêt : il devait rendre la patrie commune aussi unie qu’invincible ; il instituait un pouvoir exécutif sous le nom de directoire, ainsi qu’un conseil fédéral, destinés tous les deux à remédier aux vices organiques du Bund. Le paragraphe 5 de l’article 8 du projet, pour être un des plus courts, n’en avait pas-moins une importance capitale ; il donnait le mot de ce qui ne fut du reste une énigme pour personne. « Si une guerre, y est-il dit, menace d’éclater entre un état de la confédération qui a des possessions en dehors du territoire fédéral et une puissance étrangère, le directoire doit provoquer une résolution du conseil fédéral sur la participation de la confédération à cette guerre. La décision se prend à la simple majorité des voix. » L’Autriche enfin demandait des garanties !…

Assurément cette démarche de l’empereur François-Joseph avait de quoi étonner et choquer les esprits, et le mystère profond dont elle avait été entourée jusqu’au moment où elle se produisit d’une manière si éclatante ne pouvait qu’ajouter à la surprise générale. Ce qui accrut aussi le sentiment de malaise qu’éprouva le cabinet des Tuileries de cette improvisation de Francfort, ce fut la part cordiale et étrangement enthousiaste que semblait y prendre l’Angleterre. Le voyage que faisait en Allemagne à ce moment même la reine Victoria pouvait bien n’être inspiré que par le désir de visiter les lieux où se passa la jeunesse d’un époux adoré et récemment perdu, et planer ainsi au-dessus des préoccupations politiques, dans la région des souvenirs douloureux et inoffensifs ; mais sa gracieuse majesté était accompagnée d’un ministre, de lord Granville, qu’on avait toute raison de croire beaucoup moins détaché des choses de ce monde, et dans le fond s’agitait de plus un autre grand personnage dont le rôle ne cesse pas d’être important, même en cessant d’être officiel, ce lord Clarendon, qui ne quitte