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n’est pas parfait, de là une certaine agitation parmi ces éons, qui tous sont possédés du désir de comprendre, d’embrasser l’Abîme. L’Intellect voulait leur en révéler tous les mystères, mais le Silence lui ordonna de se taire, et provoqua ainsi une souffrance, une passion, qui fut surtout ressentie parle dernier éon féminin, qu’Irénée appelle Sophia Achamoth, sans savoir que ce dernier mot n’est que la défiguration du mot hébreu qui correspond au grec sophia et signifie de même la sagesse dans le sens abstrait. La Sagesse donc, dans la violence des désirs qui la poussaient à se plonger dans l’Abîme, se fût perdue en lui, si Horus (la limite), qui fait dans le Plérôme l’office de gardien des rangs, ne l’avait repoussée. Alors la pauvre Sagesse laissa tomber sa Pensée, la fille de son désir, qui, détachée de sa mère, engendrée sans le concours d’un éon masculin, n’est qu’un avorton difforme. Il y a donc trouble, déchirement dans le Plérôme, c’est-à-dire, qu’on veuille bien ne pas l’oublier, en Dieu, dont la totalité des éons doit exprimer les déterminations successives. Pour que le désordre n’allât pas plus loin, l’Intellect projeta une nouvelle syzygie, Christus et l’Esprit. Christus remontra aux éons qu’ils devaient se contenter de connaître la nature des syzygies et de concevoir l’être non engendré, mais que l’Intellect, immédiatement émané de l’Abîme, pouvait seul le connaître tel qu’il est. L’Esprit, être féminin dans le système valentinien comme le mot hébreu qui l’exprime, les apaise en obtenant qu’ils se communiquent les uns aux autres leurs perfections et leurs sentimens. Les éons, de troublés et tristes qu’ils étaient, redeviennent heureux, et, pour exprimer leur reconnaissance, ils engendrent tous ensemble un être d’une beauté incomparable, l’étoile du Plérôme y et l’appellent Sauveur ou Tout, puisqu’il provient de tous.

Qu’on le remarque bien, tout ce qu’on vient de raconter s’est passé en Dieu, sans aucun rapport avec un monde qui n’existe pas encore. Comment le monde va-t-il se rattacher au Plérôme divin ? C’est une question à laquelle le système essaie encore de répondre. On n’a pas oublié ce pauvre avorton, cette pensée coupable, cette fille mal née de la Sagesse, que les lois imprescriptibles du Plérôme avaient exilée loin du concert divin. Elle erre tristement dans le vide, dans l’ombre, dans la privation. Christus, qui en a pitié, lui donne une forme substantielle, mais non la connaissance des réalités supérieures. Cette sagesse, qui s’appellera désormais Sagesse d’en bas, pour la distinguer de sa mère, la Sagesse d’en haut, a eu, par son contact avec Christus, un moment d’illumination céleste, et quand le bel éon, tout resplendissant, est remonté vers le Plérôme divin, il lui est resté de ses attouchemens un souvenir qui fait qu’elle aspire avec passion, comme jadis sa mère,