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de voir combien, dans la chaleur de son érudition, il découvrit de choses qui passent encore aujourd’hui pour des témérités de la critique moderne. Par exemple il ne craignit pas d’avancer que nos Évangiles avaient dû être écrits sous le règne de Trajan. À ses yeux, les démoniaques du Nouveau-Testament n’étaient que des épileptiques. Il fit un traité sur le petit nombre des martyrs, de Paucitate martyrum, qui mit en émoi tous les écrivains ecclésiastiques de son temps, et que Ruinart crut devoir vivement réfuter. Dodwell s’attacha particulièrement à Irénée et lui consacra plusieurs dissertations, dans l’une desquelles il nia positivement qu’il fût mort martyr. Le savant bénédictin français Massuet s’efforça de ruiner les argumens que Dodwell avait allégués pour enlever « cette auréole à l’astre de la Gaule ; » mais, comparaison faite, il faut bien avouer que l’avantage reste sur ce point au théologien anglais. Dodwell a démontré que la persécution dont Grégoire de Tours veut qu’Irénée ait été la victime n’est autre que celle qui décima l’église de Lyon sous Marc-Aurèle, et dont Irénée fut chargé de porter le récit à Éleuthère. Ce qui a pu égarer la tradition, trop disposée à croire que tous les grands hommes de la première église sont morts martyrs, c’est que très probablement Irénée succomba l’an 197 avec beaucoup d’autres habitans de Lyon, lors du sac de cette ville par les soldats de Septime-Sévère victorieux d’Albinus. Depuis lors en effet on ne découvre plus trace de l’existence d’Irénée. Au contraire, sa lettre gallicane à Victor touche de fort près à cette date lugubre. La cause de sa mort aurait donc été politique, non pas religieuse ; mais comme l’empereur Septime-Sévère s’acquit un grand renom de persécuteur par les mesures qu’il ordonna ou laissa prendre en Orient contre les chrétiens, la tradition put aisément confondre les deux genres de mort et compter Irénée parmi les martyrs de la persécution de Sévère.

II.

Si quelque chose est de nature à expliquer l’ardeur avec laquelle les conducteurs de l’église au iie siècle se lancèrent dans la voie d’un dogmatisme passablement étroit et destiné à se rétrécir de plus en plus, c’est la peine qu’ils eurent à maintenir leur caractère monothéiste et chrétien contre les attaques d’un dissolvant aussi séduisant alors que radical, et qu’on appelait la gnose, c’est-à-dire la science religieuse supérieure.

C’était une idée fort répandue, et au iie siècle de notre ère datant déjà de loin, que les mythes, les légendes, les croyances po-