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église un presbytre-évêque. Il est permis de supposer qu’à côté de ses qualités personnelles son renom de science grecque, son éducation soignée (il citait avec à-propos les classiques), ses anciennes relations avec Polycarpe et les vieux presbytres d’Asie-Mineure, à l’autorité desquels il aimait à en appeler, firent de lui un oracle dans l’estime des chrétiens de Lyon.

En réalité, Irénée avait plus de savoir que de portée d’esprit, plus d’habileté que de génie. C’était un esprit observateur, curieux, prolixe, même bavard, mais doué du talent de la discussion. Tertullien, qui l’a beaucoup lu, le nomme quelque part omnium doctrinarum curiosissimus explorator. Ce fut un écrivain fécond. Outre son grand ouvrage Contre les hérésies, il composa un traité spécial contre la doctrine de Marcion, un autre sur l’Ogdoade valentinienne, un Discours aux Grecs sur la science, une Démonstration de la prédication apostolique, un livre de Disputations variées, enfin de nombreuses lettres, car il correspondit beaucoup sur les matières litigieuses de l’église de son temps. Ce sont là les écrits parvenus, plus d’un siècle après lui, à la connaissance d’Eusèbe de Césarée, qui nous en donne le catalogue en laissant supposer qu’il en existe d’autres encore. Il est fâcheux qu’à l’exception du premier tous ces ouvrages, écrits en grec, se soient perdus, sauf quelques fragmens, pour la plupart insignifians, reproduits par d’anciens auteurs. Le premier lui-même, les Cinq livres contre les hérésies, n’a pas été conservé dans l’original. On n’en a qu’une vieille version latine, pleine de solécismes, excessivement lourde, heureusement calquée à peu près mot à mot sur l’original grec, ainsi qu’on a pu s’en assurer en la comparant avec les onze premiers chapitres du premier livre qu’un autre grand pourfendeur d’hérétiques, Épiphane, jugea à propos de transcrire dans un ouvrage analogue. Irénée lui-même n’était pas très habile dans le maniement du grec ; il l’avoue ingénument et s’en excuse. « Habitant au milieu des Keltes (ἐν Κελτοῖς διατρίϐων (en Keltois diatribôn)), dit-il, et devant se servir le plus souvent d’un idiome barbare, » il n’a pu donner à sa composition une forme aussi châtiée qu’on l’eût peut-être désiré. Il est plus que probable que « cet idiome barbare » n’est autre ici que le latin, qui, plus de deux siècles après la conquête de César, prédominait certainement dans la capitale de la province. Ce qui ne doit pas être non plus à la charge du traducteur, c’est la redondance, c’est l’abus des répétitions. Il faut de la patience pour lire l’ouvrage jusqu’au bout. Ajoutons toutefois qu’Irénée possède une certaine originalité. Il a parfois l’expression heureuse et vive. Ayant à discuter des doctrines très abstruses, il en parle çà et là sur un ton de facétie qui n’est pas sans agrément. Par exemple, il s’élève contre l’idée de la