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raison-là même, il est bien regrettable que l’ouvrage explicatif des Discours du Seigneur se soit perdu. En un mot il est certain qu’Irénée est originaire de l’Asie-Mineure chrétienne, et c’est ce qui rend ses ouvrages si précieux pour la critique moderne, car bien qu’il ait dû quitter ce pays jeune encore, on reconnaît en lui l’écho occidental de cette mystérieuse école de théologie qu’on pourrait nommer johannique, de laquelle sont sorties, avec le quatrième Évangile, les prémisses du dogme de la divinité de Jésus-Christ, ainsi que la transformation systématique de l’histoire évangélique.

La première en effet, cette école introduisit dans la doctrine chrétienne les spéculations fondées sur l’idée platonicienne du Verbe, et son mysticisme idéaliste se glissa au travers des tendances variées qui se partageaient l’église de manière à leur faire à toutes des emprunts et à les supplanter finalement dans les sympathies de la majorité. Semblable à ces formations sous-marines dont les phénomènes de la surface attestent l’existence, mais dont il est impossible de décrire les invisibles contours, elle se révèle, dans la haute antiquité chrétienne, par certaines productions littéraires d’auteurs différens, mais trahissant visiblement un esprit commun, et toutes provenant de l’Orient grec. C’est par exemple, outre le quatrième Évangile, les trois épîtres de Jean, un onctueux traité mystique intitulé l’Épître à Diognète, le traité sur la Pâque d’Apollinaris, évêque d’Hiérapolis, l’Apologétique d’Athénagore, etc. Cette école poursuivit patiemment son travail dans un demi-dédain des moyens de propagande vulgaire, se résignant aisément à n’être goûtée que par une minorité choisie, et n’imposant à ses adeptes qu’une seule condition, c’est qu’ils adoptassent l’idée du Verbe divin devenu chair en Jésus-Christ. Or cette idée était en quelque sorte dans les vœux du temps et devait triompher. C’est ainsi que l’on peut voir les semences répandues par cette école germer dans des milieux où les autres traits qui la caractérisent sont loin de prédominer. Par exemple, le montanisme lui empruntera l’idée mystique du Paraclet, de l’esprit consolateur qui révèle directement à l’homme les mystères de la Divinité. En revanche, le gnosticisme, à l’extrême opposé, s’appropriera avec empressement sa terminologie, ses expressions de lumière, de vie, de verbe, et plus d’une de ses notions spéculatives. Ce qui la caractérise encore, c’est une tendance, plus commune il est vrai dans l’antiquité que de nos jours, mais qui, chez ces mystiques idéalistes, s’accuse d’une façon toute particulière, je veux dire l’indifférence pour la réalité historique. C’est sans le moindre scrupule, avec une sécurité qui désarme, qu’elle applique le principe qui était destiné à devenir hégélien : « cela